Les dessous de l’opération alliance du centre

Chien Guevara
Chien Guevara

le 18/04/2007 à 23:05 Citer ce message

En choisissant une politique réellement de gauche, les électeurs peuvent refuser de précipiter le glissement à droite du pays.

François Bayrou peut dire merci à Michel Rocard. Alors qu’il semblait traverser « un trou d’air » à quelques jours du premier tour, les appels de l’ancien premier ministre de Mitterrand à une alliance PS-UDF avant le premier tour l’ont replacé au centre de la campagne.
w L’appel de Rocard : simple opération ou offensive politique d’envergure ?
Après Bernard Kouchner, dimanche, Claude Allègre a répondu, à son tour, à l’appel de celui qui prônait, en 1993, le « big bang ». Dans les colonnes du Parisien d’hier, l’ancien ministre de l’Éducation du gouvernement Jospin juge « tout à fait concevable » une alliance PS-UDF. Seul bémol : elle « n’est pas pour le moment opérationnelle » et il faut, selon lui, attendre le second tour « pour voir si ces rapprochements auront lieu ». Michel Rocard et Bernard Kouchner, estime-t-il pour enfoncer le clou, « répètent ce qu’avait déjà dit Dominique Strauss-Kahn : il n’y a pas de différences considérables entre ce que propose Bayrou et ce que proposent les socialistes ». Des prises de positions isolées d’anciens caciques socialistes ? Pas seulement. L’appel de Michel Rocard fait suite à une série d’initiatives qui ont émaillé cette campagne présidentielle. Le Verts Daniel Cohn-Bendit prône, depuis plusieurs mois déjà, la constitution d’un pôle rassemblant centristes, socialistes et écologistes. Sur un mode plus obscur, des collectifs anonymes de personnalités ou hauts fonctionnaires socialistes ont multiplié les incursions dans le débat. Le premier, « Spartacus », sur le mode d’un soutien net à François Bayrou. Le second, baptisé « Les Gracques », en prônant une recomposition au centre sur la base d’une « mue idéologique » du PS qui conduirait celui-ci à une plus grande acceptation de « l’économie de marché ». Le 13 avril dernier, Dominique Strauss Kahn lançait un nébuleux appel à la constitution d’un « front anti-Sarkozy » entre les deux tours, avant que le premier n’ait lieu. Parfaitement orchestrées et relayées par les médias, ces initiatives, auxquelles pourraient venir s’ajouter d’autres prises de positions dans les jours qui viennent, dessinent, à quelques jours du premier tour, une véritable offensive politique. Si la « troisième voie » que prônèrent tour à tour Barre, Veil, Delors, Rocard ou Giscard n’a jamais vu le jour, ses promoteurs espèrent aujourd’hui transformer le brouillage des repères qui domine ces élections en fenêtre politique qui lui donnerait enfin corps. En s’appuyant, pour construire un tel front, sur le puissant courant d’hostilité qui s’affirme à l’endroit du candidat de l’UMP, dont l’échec est en passe de devenir l’enjeu numéro un de ce scrutin.
w Quelles sont les conséquences de ces appels à une recomposition autour du centre ?
Dans l’immédiat, ces appels entretiennent la confusion et accréditent l’idée d’un « vote utile » en faveur de François Bayrou, qui répète à l’envi qu’il est le mieux placé pour battre le candidat de l’UMP. Ils viennent aussi à la rescousse d’un candidat UDF handicapé par le caractère virtuel de la majorité « d’union nationale » sur laquelle il entend s’appuyer s’il était élu. Après les ralliements de personnalités de droite (François Goulard, Azouz Begag, Corinne Lepage), cette initiative vient crédibiliser la configuration politique défendue par le leader de centre droit, qui apparaissait jusque-là comme un homme seul. « C’est pour moi un très grand espoir de rassembler au-delà des clivages habituels », a-t-il déclaré, dimanche, à Nantes. Ces appels fragilisent, du coup, la candidate socialiste, qui tente de s’en distinguer tout en prenant soin de ne pas heurter les électeurs de l’UDF qu’elle espère voir se reporter sur elle si elle accédait au second tour. « Il faut respecter les électeurs : laissons les électeurs libres sans les embrouiller aujourd’hui avec des tractations, des manipulations, des accords dans leurs dos et nous verrons entre les deux tours, a-t-elle affirmé, hier, sur RMC-Info. Toutes ces tractations avant le premier tour, sous prétexte uniquement de faire un front anti-Sarkozy, ce n’est pas le problème. »
w La perspective d’un tel glissement de l’échiquier politique est-elle inéluctable ?
Les forces en faveur d’une recomposition autour d’un pôle PS-UDF existent. Elles s’appuient sur l’idée selon laquelle la gauche française devrait aller jusqu’au bout d’un aggiornamento idéologique qui la conduirait à se fondre complètement et définitivement dans le moule des contraintes économiques dictées par la mondialisation et les lois d’airain de l’économie capitaliste. Une telle configuration signerait l’achèvement de la révolution conservatrice enclenchée dans les années quatre-vingt, dans le sillage du « tournant de la rigueur ». Cette perspective, comme celle d’une possible recomposition à l’italienne de la droite française sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, précipiterait le glissement à droite, déjà sensible, de l’échiquier politique et idéologique.
Reste que ce scénario se heurte à de fortes résistances. François Hollande et plusieurs responsables socialistes ont exclu toute alliance avec le centre droit. « François Bayrou, il est à droite », a répété hier Laurent Fabius sur Canal Plus, déplorant « le trouble » introduit par la proposition de Michel Rocard. Qualifiant la démarche de « Meccano intellectuel », la candidate des Verts, Dominique Voynet, s’est dite convaincue que « la droite et la gauche, ça a un sens ». A contrario, Olivier Besancenot comme Arlette Laguiller ont semblé, ce week-end, prendre acte d’un virage à droite, le premier revendiquant un « droit d’opposition », la seconde renvoyant Royal et Sarkozy dos à dos.
« Une gauche qui lorgne au centre, ça ne pourra pas permettre de battre la droite », a prévenu, de son côté, Marie-George Buffet. Pour la candidate de la gauche populaire et antilibérale, seule « une politique de gauche » peut permettre à Ségolène Royal de l’emporter face à la droite. Une politique que seule l’ancrage d’un pôle de transformation sociale dans une majorité de gauche peut garantir. D’où l’importance de son score et de celui du PCF aux élections législatives. Michel Rocard, justement, déplorait, en septembre dernier, à l’université d’été de l’UDF, les traces laissées par l’influence qu’exercent encore les idées du Parti communiste, notamment en matière économique. « Cette mentalité fait toujours des dégâts dans notre pays », s’indignait-il.

Rosa Moussaoui

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