Foot : le Che Guevara FC
ARGENTINE : AU CHE GUEVARA FC, QU’IMPORTE LA VICTOIRE
Dans la province de Córdoba, à contre-courant du football mondial, un club baptisé du nom du Comandante refuse de faire du business avec ses joueurs.
![Quatre joueurs du Che Guevara FC lors de la présentation du nouveau maillot du club, qui intègre le portrait de Che Guevara, en novembre 2013 - DR](http://www.courrierinternational.com/files/imagecache/article/2014/06/0706-CheGuevaraFC.jpg)
Il n’y a qu’un seul et unique Che Guevara dans l’histoire du football mondial, et c’est ce club, où de jeunes Argentins évoluent dans plusieurs divisions. Avant le coup de sifflet d’engagement, les proches déploient une grande banderole frappée du portrait d’Ernesto Guevara, tandis que sur le poste de radio retentit la chanson Hasta siempre, Comandante – un hymne au Che composé en 1965 par le Cubain Carlos Puebla [pour saluer le départ de Guevara de Cuba]. D’ici, en tout cas, de ces petits guévaristes désormais lancés à la poursuite du ballon sur ce terrain, il se peut qu’émerge la nouvelle étoile du foot latino-américain.
Mais le plus important, en tout cas pour la présidente du club, n’est pas là : l’important, c’est que de leurs rangs sortiront peut-être les nouveaux modèles du quartier, des acteurs du changement social, qui ouvriront la voie à la population pauvre de la ville de Jesús María. Au Che Guevara FC, on attend davantage que des stars : on attend l’homme nouveau. Jesús María se trouve dans la province de Córdoba, dans le centre-nord de l’Argentine, à 50 kilomètres au nord de la capitale provinciale. Mónica Nielsen vit dans un quartier résidentiel de Jesús María : c’est elle, la présidente du Club Social y Deportivo Che Guevara, fondé le 14 décembre 2006.
“Laissez-moi d’abord dire une chose. Nous, nous ne sacrifions pas un seul gamin sous prétexte de financer les activités de 200 autres. Nous n’allons pas vendre des joueurs pour de l’argent, lance-t-elle d’emblée. Nous allons à contre-courant de ce qui a corrompu le foot. Avec le nom illustre que nous portons, je ne peux pas me permettre de commencer à faire du business sur le dos des gamins.” La présidente du Che Guevara sait qu’elle n’aura pas la tâche facile. Que la soif de gloire guette de toutes parts, en permanence. Elle le sait, car elle se souvient que les choses n’ont jamais été simples, et ce dès le début.
Aujourd’hui, le club compte 120 joueurs de 6 ans et plus, répartis sur 7 divisions. Et tout est gratuit : aucun d’eux ne débourse un peso. C’est cette cause qu’elle défend, insiste Mónica, dont l’enthousiasme est visible. Les jeunes footballeurs ont déjà été invités à jouer à l’étranger et le club fait des émules. La présidente sait qu’une bonne saison, avec des championnats et des victoires, ferait beaucoup pour sa cause. Mais elle sait aussi que, dans son club en tout cas, l’important n’est pas de gagner.
![](https://4.bp.blogspot.com/-P4UKZG3JP3Y/U5G31dVYvLI/AAAAAAAAzV4/JBJM8XQI8XQ/s1600/EL+CHE+GUEVARA+F.C..jpg)
Le Che Guevara FC a désormais un statut juridique, ses joueurs sont rattachés à la Ligue de football de la province de Córdoba et évoluent en Ligue régionale Colón. Depuis l’année dernière, ils participent aussi aux championnats des moins de 17 ans et des moins de 12 ans. Les joueurs s’entraînent sur le terrain de clubs qui, par amitié et par solidarité, leur ouvrent leurs installations. “Vous vous rendez compte que le Che Guevara a un modèle qui va à contre-courant de tout ce qui se passe dans le football actuel, où la vente de jeunes joueurs semble être le business à la mode ? — Bien sûr, mais je ne peux pas faire des affaires sur le dos des enfants, insiste Mónica Nielsen. Quand tu es guévariste, c’est à la vie à la mort : le guévarisme, c’est le sens du sacrifice. — Et si vous tombez sur le nouveau Lionel Messi ? — Si c’est un gamin qui sait tendre la main à ses semblables et à ceux qui suivent, cela se verra. Là est tout le défi. Ce petit saura s’il veut tendre la main au club, s’il veut rendre la solidarité qu’il a reçue de nous.”
Nous sommes à quelques minutes de la mi-temps, et le Che Guevara FC a encaissé 2 buts. Mais cela n’entame en rien l’allant des jeunes joueurs, ni de leur famille, ni de cette présidente de club qui refuse de vendre ses footballeurs. En France, il y a un parfum baptisé Che Guevara. La marque de baskets Converse a fait une pub utilisant le portrait du Che. Le mannequin Gisele Bündchen a défilé à New York vêtue d’un bikini estampillé de centaines de visages du révolutionnaire argentin. Ernesto Guevara de la Serna est mis au service de cigares, de T-shirts, de maisons d’édition. Au Che Guevara FC, l’appropriation de cette figure révolutionnaire va au-delà de la mode rétro chic. D’ailleurs, le club ne brille pas : il se classe systématiquement en bas du tableau.
![](https://4.bp.blogspot.com/-FpWOfM-4NnQ/U5G3LiGiMZI/AAAAAAAAzVw/Fmr9ywspwlQ/s1600/33985_142039_1.jpg)
Certains clubs sont prêts à acheter des joueurs dès l’âge de 6 ans, pour peu qu’ils leur voient un avenir radieux sur les pelouses. Mónica, elle, sait dénicher d’autres talents, et elle voit déjà en Joaquín un modèle et un acteur de la vie sociale. Cet après-midi-là, le Che Guevara FC a perdu son match. Mais personne n’a l’air de trop s’en soucier. Pour ce commando de petits guévaristes, la révolution ne fait que commencer.
—Juan Pablo Meneses
Ajouter un commentaire
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021