Indigne de la république

Chien Guevara
Chien Guevara

le 18/04/2007 à 23:00 Citer ce message

EDITORIAL PAR JEAN-PAUL PIEROT

Les images sont tremblantes mais la scène est clairement identifiable. Au pied des immeubles, sous l’éclairage blanchâtre des réverbères et des phares des voitures, des hommes cognent, piétinent, étouffent deux autres hommes menottés, incapables de se protéger de cette furie, impuissants devant les crocs du chien lâché sur eux... Grand saut dans le passé. Sommes-nous en Argentine ou au Chili dans les années de plomb, dans la Turquie de Midnight Express, dans la Grèce des colonels ou au Portugal de Salazar ? Non, le jeune homme qui a filmé cette séance de torture à ciel ouvert - quel autre terme employer ? - habite Mont-Saint-Aignan dans la banlieue de Rouen. Nous sommes en avril 2007, et il y a quelques jours seulement Nicolas Sarkozy était à la manoeuvre au ministère de l’Intérieur.
Raccourci, dira-t-on, procès injustifié qui consisterait à faire porter au « premier flic de France » la responsabilité d’une bavure perpétrée par une escouade de policiers à la main lourde et trouvant quelque jouissance à passer leurs prochains à tabac ? Malheureusement non, ce n’est pas exagéré. Les conditions révoltantes de l’interpellation de ces deux jeunes gens - quelle que fût l’infraction qu’ils auraient commise ou pas - sont symptomatiques de la politique « sécuritaire » que le chef de l’UMP a impulsée depuis cinq ans. Il serait injuste de généraliser un comportement digne des geôliers d’Abou Ghraïb à l’ensemble des fonctionnaires de police. Mais, pour une scène de violence, discrètement filmée par un témoin et heureusement dénoncée, bien d’autres violences policières, indignes d’un État de droit, sont commises sans que leurs auteurs soient le moins du monde inquiétés. Les plaintes de citoyens déposées à l’encontre de fonctionnaires de police ont augmenté en 2006.
L’une des plus graves fautes inscrites au bilan du ci-devant ministre de l’Intérieur, aura été d’avoir élargi la fracture entre la police et une partie importante de la société, dans la jeunesse en premier lieu. Une faute grave contre la République. Faire du chiffre, du rendement, cette conception bien étrangère à la notion de service public a fortement dégradé l’image de la police, en la dépouillant d’une part importante de sa mission de protection des personnes, au profit exclusif de la répression, qui fait du citoyen, surtout s’il est jeune, s’il habite dans un quartier populaire, sest issu de l’immigration, un ennemi tout désigné.
Deux adolescents électrocutés à Clichy-sous-Bois, révoltes des banlieues de l’automne 2005, traque des familles sans papiers, arrestation d’une directrice d’école de Belleville, émeute troublante à la gare du Nord... Autant d’événements qui accroissent le trouble au sein même de la police, comme en ont témoigné les élections professionnelles désavouant les syndicats proches du ministère. En témoigne aussi ce texte anonyme signé par des policiers républicains exprimant « leur souffrance et leur inquiétude », dénonçant « les rafles ciblées », « les contrôles au faciès » qui « rappellent les heures les plus sombres de notre histoire ».
Ce climat ténébreux baigne cette fin de campagne. Sarkozy et Le Pen se font la course à droite, à qui pourra mettre les pieds dans un quartier populaire, présenté comme des terres à conquérir. L’ex-ministre de l’Intérieur, candidat à l’Élysée, doit rebrousser chemin dans l’ancien quartier des canuts - a-t-il entendu « la révolte qui gronde », comme dit le célèbre chant ouvrier - et se fait coiffer par le caudillo du FN débarquant à l’heure du laitier sur la dalle d’Argenteuil, là où le chef de l’UMP avait traité les jeunes de racailles. Sinistre pantalonnade en vérité à laquelle il serait salutaire que le peuple mette fin prochainement.

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