Quand le serpent impérialiste américain se mord la queue

Depuis quelques semaines, on peut lire un peu partout que des ultra-extrémistes musulmans (l’EIIL) font régner la terreur en Irak, et sont en passe de prendre le pouvoir.
Cette situation ne laisse pas indifférents nos amis « humanistes » américains, qui suivent tout cela de près, inquiets au point de songer désormais à s’allier avec l’Iran pour aller remettre de l’ordre en Irak.
Comment cette double couche d’hypocrisie de la part des USA est-elle possible ? Eux qui souhaitent désormais s’associer à leur ennemi juré qu’est l’Iran, pour aller lutter contre le chaos actuel en Irak, qu’ils ont eux-mêmes provoqué, par leur intervention contre le régime de Sadam Hussein en 2003.

Retour sur la guerre d’Irak

"Quand les Américains sont arrivés en 2003, ils ont détruit l’État irakien, son armée, son administration, sa police et tout ce qui permet à un pays de tenir debout", écrivait récemment le journaliste Dexter Filkins dans le New Yorker.
L'illustration la plus flagrante en a été donnée cette semaine lorsque les soldats irakiens, sous-équipés et mal entraînés, ont quitté leur poste sans demander leur reste face aux jihadistes dans le nord du pays.
L'armée, clef de voûte du système mis en place par Saddam Hussein, avait été dissoute en 2003 par l'administrateur civil américain Paul Bremer.
La fulgurante avancée des jihadistes sunnites en Irak plonge ses racines dans l'invasion du pays menée par Washington en 2003, dont l'un des legs est d'avoir engendré une très dangereuse vacance du pouvoir et un sanglant conflit sectaire.
Pour les détracteurs du président George W. Bush et des "faucons" qui l'entouraient, la prise de la province de Ninive et de certaines villes au nord de Bagdad par des militants issus de Daech ou l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) apporte, s'il en fallait, une preuve supplémentaire du manque total de discernement de Washington en 2003.
"On peut mettre la débâcle en Irak sur le dos de pas mal de monde. Mais il ne faut pas perdre de vue que la décision catastrophique de partir en guerre en 2003 est bien le point de départ" des affres du pays à l'heure actuelle, analyse pour l'AFP Bruce Riedel, un ancien agent de la CIA aujourd'hui expert à la Brookings Institution.
Et, renchérit Juan Cole, professeur d'histoire à l'université du Michigan, le chaos irakien s'assimile à "un acte d'accusation" dressé contre l'administration de George W. Bush, qui est partie en guerre sous le faux prétexte qu'existait un lien entre le régime de Saddam Hussein et el-Qaëda.
C'est toute l'"ironie du sort", dit-il. Car en envahissant l’Irak, George W. Bush et son vice-président Dick Cheney ont créé les conditions idéales à un ancrage durable d'el-Qaëda et des extrémistes sunnites dans le pays. "Le pays s'est retrouvé à un tel point de faiblesse qu'el-Qaëda a pu prendre et tenir certaines régions" aujourd'hui, explique M. Cole.

Qui est L’EIIL, conséquence de cette guerre ?

L’Emirat Islamique en Irak et au Levant n’est pas une organisation djihadiste nouvelle. Si les médias occidentaux semblent découvrir aujourd’hui son existence et s’alarmer de son potentiel de nuisance, l’émirat, pour l’instant confiné aux marges de l’Irak et de la Syrie, est la conséquence de l’invasion de l’Irak par les troupes de G.W. Bush en 2003.
D’obédience sunnite, le groupe s’est tout d’abord constitué sous l’égide d’Al Qaïda et de Abou Mussab al-Zarqaoui dans le nord Irakien, sous le nom d’Al-Qaïda en Irak, et a démarré une guerre confessionnelle aussi bien avec les forces d’occupation que les mouvements de résistance chiites. Il agrège les différentes tribus sunnites du nord du pays hostiles au pouvoir central chiite. Al-Qaïda ne constitue qu’une branche combattante parmi cet ensemble ethnico-religieux. Il prend en 2006 l’appellation officielle d’Emirat Islamique d’Irak suite à la mort de Zarqaoui. Dans les faits, les troupes d’EIIL ont rapidement œuvré à la constitution d’un état islamique  et sont entrées en conflit avec les autres groupes armés de résistance, notamment l’Armée Islamique en Irak qui déclarait qu’Al Qaïda n’avait « pas les mêmes objectifs ». Selon Izzat Ibrahim al-Douri, chef du Baas clandestin, l’EII est « une pierre supplémentaire du programme visant à diviser l’Irak », selon des critères ethnico-religieux correspondants au plan de « nouveau moyen orient » mis au point par l’administration Bush et Israël. On y distingue très bien un « Irak sunnite » qui englobe tout le nord du pays…
La libération du territoire irakien est rapidement apparue très secondaire par rapport à la constitution d’un émirat. Selon un entretien diffusé par la chaîne d’information saoudienne, Al-Arabiya et repris par le Réseau Voltaire, le prince saoudien Abdul Rahman al-Faiçal, le frère du ministre des affaires étrangères, serait le commandant actuel de l’EIIL, ce qui suppose donc que l’organisation sert les buts stratégiques de l’Arabie Saoudite dans la région. Ainsi, c’est à la suite du désengagement américain à partir de 2011 que l’EIIL va monter en puissance et étendre sa zone d’influence jusqu’à ouvrir un deuxième front en Syrie à partir de 2012.

S’associer au « diable » iranien comme au bon vieux temps

Les Etats Unis envisagent, parmi d'autres options, des frappes de drones en Irak. C'est ce qu'a déclaré, lundi 16 juin, John Kerry. Le chef de la diplomatie américaine a par ailleurs évoqué, à l'instar de parlementaires républicains, une possible coopération avec l'Iran sur le problème irakien, ce qui serait historique. Le Pentagone précise en tout cas que les Etats-Unis ne comptent pas consulter l'Iran avant une éventuelle action en Irak.
L’hypothèse d’une coopération avec l’Iran n’est, en effet, pas écartée par le secrétaire d’Etat, mais les Etats-Unis avancent très prudemment sur le sujet. John Kerry veut procéder étape par étape, selon ses propres termes, et il pose certaines conditions que l’Iran doit remplir en vue de cette coopération : reconnaissance de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Irak, par exemple.
« Nous sommes ouverts à la discussion avec l’Iran si quelque chose de constructif peut en sortir, si l’Iran est prêt à faire quelque chose dans le respect de l’intégrité et de la souveraineté de l’Irak, et à condition que le nouveau gouvernement irakien se constitue », déclare John Kerry.
Dans le même temps, les Américains, qui ne veulent pas être pris dans un engrenage irakien, ont besoin de soutiens internationaux. Une coopération avec l’Iran et avec d’autres pays de la région donnerait une légitimité à toute action américaine. Et surtout, en matière de politique intérieure, cela permettrait à Barack Obama de montrer que le dialogue avec Téhéran, l’ennemi de 35 ans, peut porter des fruits, au-delà de la négociation sur le nucléaire iranien.
Les républicains sont ouverts à une coopération avec l’Iran et les propos de Lindsey Graham sont abondamment commentés. L’influent sénateur républicain s’est en effet prononcé dimanche en faveur d’une coopération avec l’Iran sur le dossier irakien. Comme John Kerry, c’est une déclaration prudente de Lindsey Graham. Ce dernier est un faucon qui, jusque-là, voyait d’un très mauvais œil la stratégie Obama, et tout accord sur le nucléaire iranien. Quand il se prononce pour une coopération avec Téhéran sur l’Irak, c’est au nom de la sécurité nationale des Etats-Unis. Mais cela signifie que Barack Obama a peut-être une fenêtre pour agir avec un consensus politique, ce qui est très rare.

Souvenons-nous qu’avant d’attaquer l’Irak en 2003, les USA avaient soutenu Sadam Hussein, dans les années 60 (lire : La manigance des USA en Irak).
Souvenons-nous aussi que dans les années 80, les États-Unis avaient collaboré avecl’Iran, pourtant sous embargo, afin de financer des interventions occultes au Nicaragua (lire : CIA, irangate, Nicaragua, USA, contras et sandinisme).
Dans un autre pays, on peut aussi se souvenir qu’avant de devenir l’ennemi public numéro, Ben Laden avait collaboré avec la CIA, afin de chasser l’URSS de l’Afghanistan (lire : L'ennemi public N°1 n'est plus !).
On pourrait bien sur trouver multitudes d’autres exemples à cette énumération non exhaustive d’amis devenus ennemis, ou inversement.

Lutter contre ce qu’on a provoqué (ou l’histoire du pompier pyromane)

Vous connaissez tous sans doute, l’histoire du pompier qui allume des incendies, et qui vient ensuite en sauveur les éteindre. Et bien, le fonctionnement des Etats-Unis est exactement le même.
Car pour l’instant, le président Obama n’envisage pas d’envoi de troupes au sol mais plutôt des « actions ciblées », comme des attaques de drones ou des bombardements aériens sans qu’on en sache plus pour l’instant. Washington se retrouve ainsi pris à son propre jeu puisque selon la plupart des analystes, l’EIIL est financée et armée par l’Arabie Saoudite et la Turquie, avec la complicité des états-unis, qui ont formé pour la région un projet de redécoupage ethnico religieux, le « nouveau moyen orient »… Le président Obama n’a ainsi pour l’instant rien promis de concret au gouvernement Irakien, malgré l’urgence de la situation, indiquant simplement qu’il étudiait « d’autres options » que l’envoi de troupes au sol…
Une fois de plus on se retrouve donc dans une situation d’inversement total des valeurs, comme on a pu le constater en Ukraine ou le bloc occidental soutien un gouvernement qui assoie son pouvoir sur des milices néo-nazies qui sont en train de mener une opération de purification ethnique dans l’est du pays. L’Irak voit donc, comme la Syrie avant elle, le déferlement d’une armée de djihadistes fanatiques soutenue et financée par les pays du bloc occidental, au nom bien entendu de la « liberté » et de la « démocratie ». Et ce sont une fois de plus les pays désignés comme faisant parti de « l’axe du mal » qui vont lutter sur le terrain contre le déchaînement de barbarie libéré par les puissances occidentales et les pétromonarchies du Golfe Persique.

Les « sponsors » occidentaux du terrorisme

Les groupes armés réunis au sein de l’ancienne Armée Syrienne Libre sont encadrés et armés par le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les états-unis et la France. Les pétro-monarchies assurent essentiellement le financement des djihadistes, chacune sponsorisant son groupuscule. La Turquie, via sa frontière avec la Syrie offre également des bases arrières aux combattants, et sert de passerelle d’approvisionnement logistique. Les djihadistes occidentaux comme Mehdi Nemmouche se sont rendus en Syrie via la Turquie. Ils sont intégrés principalement au Front Al-Nosra. Cette dernière a également conduit des opérations militaires en territoire Syrien en appui de groupes terroristes.
La France a quant à elle fournit des instructeurs et des officiers d’encadrement. 13 d’entre eux ont été faits prisonniers par l’armée Syrienne lors de la libération de Homs où opérait le Front Al-Nosra.
Les médias français n’en ont quasiment pas parlé, mais un certain nombre d’articles en font mention, notamment dans la presse libre étrangère. La chaîne Russia Today avait évoqué quant à elle le nombre de 120 militaires français. D’autres sources, notamment la télévision Syrienne, évoquaient le chiffre de 18 militaires… C’est là qu’on peut effectivement faire le lien entre les djihadistes français comme Mehdi Nemmouche, et les services secrets comme la DGSE qui disposaient d’officiers d’encadrement sur le terrain…
Des officiers saoudiens et qataris ont également été faits prisonniers à cette occasion, ce qui atteste l’implication des deux monarchies.
Selon la journaliste Nafeez Mosaddeq Ahmed, Le chef actuel d’Al Qaïda, Ayman al-Zawahiri, qui était un ancien adjoint de Ben Laden, serait également un agent de la CIA. L’encadrement et le noyautage de groupuscules terroristes seraient connu au sein de l’agence comme un « Gladio B » du nom des réseaux de l’OTAN mis en place en Europe de l’ouest et s’appuyant sur des groupuscules néo-fascistes. Ils ont été utilisés pendant la guerre froide pour contrer les organisations communistes en Europe et opérer des opérations sous fausse bannière.

Etat des lieux et conclusion

Face à l’avancée de l’EIIL qui a pris la deuxième ville du pays, Mossoul, début juin, et qui continue sa progression vers la capitale, le pouvoir central à Bagdad, dont l’armée semble complètement désorganisée, a officiellement demandé l’assistance des états-unis. Les troupes stationnées dans la région de Mossoul auraient effectivement déserté en masse devant l’avancée des djihadistes. Le premier ministre a également appelé les milices confessionnelles à repousser l’envahisseur et  le leader chiite Moktada el-Sadr s’est dit prêt à lutter contre les jihadistes en coordination avec l’État irakien. Enfin, la mobilisation générale a été décrétée et les autorités ont commencé à distribuer des armes aux civils qui souhaitaient combattre les rebelles. Une demande d’assistance a également été envoyée aux autorités Kurdes afin qu’elles joignent leurs troupes de Peshmergas aux forces gouvernementales. L’engagement des Peshmergas Kurdes, particulièrement bien entraînés, semble le dernier rempart à la prise de Bagdad par les djihadistes. Ils doivent dors et déjà gérer un afflux de plus de 500000 réfugiés, l’EIIL étant frontalier du Kurdistan, mais n’ont pour l’instant pas réagit à la prise de Mossoul, malgré les appels à l’aide du gouverneur de la ville.

Alors, devant ce ramassis de mensonges et de trahisons, comment faire confiance aux occidentaux, rois du volte-face, qui un jour attaquent, un jour défendent ; un jour condamnent, un jour financent ; un jour accusent, un jour sollicitent ?


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Commentaires (1)

Troy1
  • 1. Troy1 | 25/07/2014
Un documentaire titré ( si je me souviens bien ... ) "les sentinelles oubliées" racontait les aventures clandestines des cellules communistes aux US au cours des années 30 et notamment qu'à San Francisco, l'une d'elles était constituée exclusivement par une demi-douzaine d'agents du FBI qui s'espionnaient entre-eux !... Au Viêt-Nam , on a parlé de la politique de la peau de léopard !... Et çà se terminait par l'effondrement des dominos !... La prochaine chute allumera-t-elle une réaction en chaîne suffisante pour un nouvel "Août 14" ?...

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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