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Cet écosystème né du plastique

Une étude scientifique vient de révéler que 99% des déchets en plastique "disparaissent" dans l'océan. Certains d'entre eux sont colonisés par des communautés de bactéries inquiétantes, écrivait en décembre dernier le Los Angeles Times.

Dessin d’Alex Ballaman paru dans La Liberté, Fribourg.
 
Les océans au régime plastifié

On évoque depuis plusieurs années le septième continent : cette masse de plastique à la dérive dans le Pacifique Nord, entre la Californie et Hawaii. Mais une étude publiée dans la revue scientifique PNAS vient de révéler qu'il devrait être encore plus important. En effet, selon les campagne de mesure mondiale menée par l'équipe d'Andres Cozar, de l'Université de Cadiz, 99% du plastique déversé dans les océans disparaît, purement et simplement. Est-il dégradé par les bactéries, comme l'ont démontré certains scientifiques (cf. article ci-contre) ou absorbé par la faune marine ? Les deux sans doute. Cette étude arrive à point nommé pour renforcer les conclusions du rapport annuel du Programme des Nations-Unies pour l'environnement, qui souligne le coût de cette pollution -13 milliards de dollars par an- et les dangers pour l'environnement des micro-plastiques (moins de 5 mm de diamètre) dans les produits cosmétiques. 

Elizabeth Lopez manœu­vre une gigantesque pince en acier fixée sur le bord d’un voilier de 40 mètres et la fait descendre prudemment entre les algues ondulantes et les bancs de poissons, à 15 kilomètres au large de San Diego [Californie]. La chercheuse espère prélever des fragments d’un écosystème marin mystérieux que les scientifiques appellent la plastisphère.

Ce type de communauté bio­logique se forme à partir de particules de plastique pas plus grosses que des grains de sel. Les bactéries s’installent sur ces déchets minuscules, et servent ensuite de nourriture à des organismes unicellulaires qui sont à leur tour la proie de prédateurs plus gros. “L’homme a créé un véritable écosystème artificiel fait de débris de plastique”, affirme Elizabeth Lopez, étudiante en master à l’université de San Diego.

La plastisphère se développe depuis soixante ans. Elle est issue des plastiques abandonnés – tongs, barquettes de margarine, jouets, brosses à dents, etc. – qui sont rejetés dans la mer par les égouts et les cours d’eau. Lorsque ces déchets se retrouvent dans l’océan, ils se décomposent en petits morceaux vite colonisés par des organismes microscopiques, dont un grand nombre sont inconnus des scientifiques.

Dangereuses décomposition 

Les biologistes craignent notamment que certaines créatures de la plastisphère ne réussissent à décomposer complètement des fragments de polyéthylène et de polypropylène, au point que des substances chimiques nocives finissent par se répandre dans l’environnement. “C’est un problème extrêmement préoccupant”, affirme Tracy Mincer, géochimiste des milieux marins pour l’institut océanographique Woods Hole (WHOI), dans le Massachusetts. “Il est possible que les microbes accélèrent énormément l’érosion des débris de plastique et les décomposent en de plus petits morceaux. Si c’est le cas, nous ne savons pas précisément comment le zooplancton et d’autres petites créatures vont réagir, ni si des additifs néfastes, des pigments, des plastifiants, des retardateurs et d’autres composés toxiques ne vont pas se déverser dans l’eau.”


Environ 245 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde, selon les estimations fournies par le secteur. Soit plus de 30 kilos pour chacun des 7,1 milliards d’habitants de la planète. Les déchets se regroupent dans l’océan en de vastes “plaques de déchets” ovales qui se forment en fonction des courants et des vents convergents. Une fois piégées dans ces zones mortes cycloniques, les particules de plastique peuvent y rester pendant des siècles.

Les effets physiologiques des déchets plastiques sur les poissons, les oiseaux, les tortues et les mammifères marins qui les ingèrent sont bien connus : les animaux risquent de souffrir de problèmes intestinaux, de voir leurs mouvements entravés, mais aussi de suffoquer et de mourir de faim. Mais nous commençons à peine à comprendre les con­séquences de la plastisphère.

Toute la chaîne alimentaire

“Nous sommes en train de modifier les rythmes fondamentaux de la vie dans les océans et nous devons en interpréter les répercussions”, explique Miriam Goldstein, une biologiste de la vie marine qui a obtenu son doctorat à l’institut océanographique Scripps (université de Californie à San Diego) grâce à son étude des déchets plastiques dans la “grande plaque de déchets du Pacifique”, située entre Hawaii et la Californie.

En octobre 2013, Miriam Goldstein et l’océanographe Deb Goodwin, qui travaille pour la Sea Education Association (SEA, basée à Woods Hole, Etats-Unis), ont annoncé qu’elles avaient trouvé des traces de plastique dans les intestins d’un tiers des pouces-pieds [des crustacés qui vivent fixés sur un support] collectés sur la plaque de déchets. Et comme les crabes se nourrissent de ces pouces-pieds, le plastique qu’ils ingèrent risque de contaminer toute la chaîne alimentaire.

La plastisphère ne se limite pas aux océans. En 2012, une équipe de chercheurs a découvert des microplastiques pol­luants dans les Grands Lacs, aux Etats-Unis, dont d’importantes quantités de microbilles de polyéthylène et de polypropylène utilisées dans des produits exfoliants pour le visage. A la suite de la publication de ces résultats, une coalition regroupant les maires de cette région a demandé à l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) d’évaluer les risques potentiels pour les écosystèmes des lacs et pour les humains.

D’autres scientifiques, dont Tracy Mincer et Erik Zettler, spécialiste de l’écologie mi–crobienne à la SEA, ont passé trois ans à élaborer la première description complète et détaillée des populations microbiennes qui colonisent les débris de plastique en milieu marin. Avec des filets très fins, ils ont filtré les particules de plastique sur plus de 100 sites dans l’Atlantique, du Massachusetts à la mer des Caraïbes. Grâce à des micro­scopes électroniques à balayage et à des techniques de sé­quençage génétique, ils ont identifié plus de 1 000 bactéries et algues différentes qui vivaient sur du plastique à la dérive dans la mer, selon leur article publié dans la revue Environmental Science & Technology en juin 2013.

Une embarcation pour les bactéries 

Un échantillon de polypropylène pas plus gros qu’une tête d’épingle les a particulièrement inquiétés. Sa surface était couverte de bactéries du genre Vibrio, dont fait partie l’espèce responsable du choléra et d’autres troubles gastro-intestinaux. Ces potentiels pathogènes pourraient parcourir de longues distances en s’attachant à des morceaux de plastique qui restent dans l’océan bien plus longtemps que les déchets bio­dégradables qui flottent à la surface, comme les plumes ou le bois.

L’équipe compare maintenant les populations microbiennes qui se trouvent sur des déchets plastiques du Pacifique Nord et de l’Atlantique Nord, pour essayer de comprendre quelles bactéries se nourrissent de ces déchets et quels prédateurs mangent ensuite ces microbes.

Pendant ce temps, à San Diego, Elizabeth Lopez et ses collègues examinent sous de puissants microscopes les échantillons collectés et prélèvent de minuscules morceaux de plastique afin de les classer et d’en analyser la composition chimique. Leurs conclusions seront partagées avec le Southern California Coastal Water Research Project (SCCWRP), un institut de recherche publique qui surveille la pollution urbaine.

“Ces minuscules univers de plastique qui sont juste sous notre nez représentent le prochain défi pour la recherche”, affirme Drew Talley, océanographe à l’université de San Diego. “Il serait criminel de ne pas enquêter sur les dégâts qu’ils sont susceptibles de provoquer dans les océans et chez les humains.”

Louis Sahagun / Publié le 26 dé­­cembre 2013 dans Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

Source : Logo Courrier International

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021