Qui a touché les millions du Qatar ? Le 16 avril 2010, le fonds souverain Qatari Diar annonçait s’être offert 5% du capital de Veolia Environnement, géant tricolore de l’eau et des déchets, pour 624 millions d’euros. Avec, à la clé, un «partenariat stratégique» négocié par Henri Proglio, qui cumulait à l’époque la présidence de Veolia et son job actuel de patron d’EDF (1). Mais ces fiançailles ont aussi une face sombre. Selon nos informations, Qatari Diar a versé, en marge de l’opération, de gigantesques commissions occultes dans des paradis fiscaux, pour un total de 182 millions d’euros. «Cette opération, c’est du James Bond !» lâche un banquier.

Prête-noms. Les motivations du Qatar restent mystérieuses. Comme le souligne un proche du dossier, «il est absurde de verser une commission pour acheter des actions d’une société cotée comme Veolia, librement disponibles sur le marché». Du coup, à quoi a servi l’argent ? Seule la justice pourra répondre, vu les efforts déployés pour cacher l’identité des bénéficiaires, mais aussi des exécutants. En effet, un même montage financier, réalisé entre Chypre et le Luxembourg, a été utilisé à la fois pour acheter les actions Veolia et verser les commissions (lire ci-contre). Il est donc difficile de savoir qui était au courant du volet occulte.

Une chose est sûre : les 182 millions de Qatari Diar ont atterri dans trois sociétés écran à Chypre, en Malaisie et à Singapour. Les deux premières, dont les actionnaires sont dissimulés par des prête-noms, ont touché environ 137 millions. La troisième appartient à un proche de Ghanim bin Saad al-Saad, à l’époque directeur général de Qatari Diar. Les quelque 45 millions d’euros versés par ce canal singapourien ressemblent donc beaucoup à une rétrocommission.

On ignore si la justice a découvert l’existence de ces commissions (2). Mais les policiers de l’office anticorruption de Nanterre enquêtent sur le montage qui a permis de les verser, dans le cadre de la procédure pour «abus de biens sociaux» et «blanchiment de fraude fiscale» ouverte en avril par le parquet de Paris sur le financement par EDF des spectacles de l’épouse d’Henri Proglio, l’humoriste Rachida Khalil. Comme l’a révélé le Point, Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, a en effet découvert que l'homme  d'affaires français Maxime Laurent est un des acteurs du montage financier Qatar-Veolia, en achetant Velo Investissement, une coquille vide luxembourgeoise. Mais il est aussi l'un de ceux qui, deux ans plus tard, ont subventionné l'un des spectacles de l'épouse d'Henri Proglio, l'humoriste Rachida Khalil, à hauteur de 55 000 euros. Les policiers cherchent à vérifier s’il y a un lien entre ces deux faits.

«Renvoi d’ascenseur». Le financement de Rachida Khalil «n’est pas un renvoi d’ascenseur» à Henri Proglio, assure Maxime Laurent. Contactés par Libération, les deux hommes affirment qu’ils ne se connaissent pas et qu’ils ignoraient l’existence des commissions. Proglio et son directeur général de l’époque, Antoine Frérot (l’actuel PDG de Veolia), précisent qu’ils ne savaient rien du montage mis en place par les Qataris pour entrer au capital du groupe. Par contre, un ami de Proglio y a directement participé : le banquier François Roussely, vice-président Europe du Crédit suisse, dont le Qatar est le premier actionnaire, et qui était chargé par l’émirat de ramasser les 5% de Veolia. Roussely connaissait-il le volet secret de l’opération ? Un proche de la banque répond que le «Crédit suisse n’a eu connaissance d’aucun fait contraire aux obligations de conformité auxquelles il est soumis».

Comment les options Veolia et la dette correspondante sont passées de Maxime Laurent à QDVEO en passant par Accornero Holdings.

Comment l'actif d'Accornero Holdings a été distribué entre ses trois actionnaires.

(1) Son éventuel renouvellement à la tête d’EDF doit être tranché par l’Etat avant la fin du mois.

(2) Contacté, le parquet de Paris n’a pas souhaité commenter.

Source :  Yann PHILIPPIN /  http://s1.libe.com/img/logo-liberation-311x113.png