Ils sont arrivés en catimini, juste au moment où Nicolas Sarkozy entrait à l'Elysée en 2007. Les « dark pools » sont en passe de devenir les trous noirs de la finance mondiale. La ministre des Finances et l'Autorité des marchés financiers (Amf) s'en inquiètent depuis un an, mais rien ne bouge.
En pleine campagne présidentielle, une réforme de fond
11 avril 2007 : dix jours avant l'élection présidentielle, le Conseil des ministres valide le projet de transposition en droit français de la directive MIF (marché d'intermédiaires financiers), un texte européen de 2004. Objectif : libéraliser le marché des actions, jusque-là réservé aux bourses.
En résumé, Bruxelles autorise désormais les grands acteurs de la finance à créer leur propre bourse : les systèmes multilatéraux de négociations (SMN) ou, en anglais, multilateral trading facility (MTF). Le principe est de multiplier les lieux où les gros investisseurs peuvent échanger des liquidités. La fluidité de circulation des capitaux, estiment les économistes, a toujours été un avantage concurrentiel.
1er novembre 2007 : la loi française entre en vigueur. Toujours dans la plus grande discrétion… l'information ne sort pas des milieux spécialisés. Pour comprendre le fonctionnement de ces marchés alternatifs, il faut savoir qu'ils reposent sur deux principes simples :
- Ils ne sont ouverts qu'aux zinzins (les investisseurs institutionnels). Comprenez que l'investisseur particulier n'y a pas accès, notamment parce que le montant des paquets d'actions négociés se chiffre en millions, voire en milliards d'euros.
- Les ordres de vente et d'achat se font « à l'aveugle », c'est-à-dire que nul ne connaît leur prix avant la réalisation de l'opération.
D'où l'appelation de « dark pools ». Traduisez : bassin de liquidités opaque et non piscine noire. Ou encore « bourse noire », comme l'expliquait notre blogueur Jean de Maillard il y a quelques mois dans son dernier livre. (Voir la vidéo)
Londres rachète le premier dark pool européen
Septembre 2008 : neuf grandes banques (BNP Paribas, Citygroup, Morgan Stanley…) lancent Turquoise, le premier dark pool européen, au moment où la crise financière s'ouvre sous leurs pieds. Les banques et sociétés de gestion européennes mettent les bouchées double parce que les Américains ont quelques longueurs d'avance. Visiblement, il y a urgence, car une part croissante des échanges d'actions ont désormais lieu sur ces places alternatives.
A tel point que le London Stock Exchange (LSE) se fait tailler des croupières sur l'année 2009. Tout comme le Nasdaq et le Nyse Euronext. En volume, la baisse atteint parfois 20 à 30% des échanges sur un semestre. Pire : en valeur, certaines places reculent de 50 à 60%…
En décembre 2009, le LSE, la bourse de Londres, a d'ailleurs racheté 60% de Turquoise pour avoir son propre dark pool. Avant d'en revendre 9% à trois nouveaux entrants pour une valorisation globale de 36,6 millions d'euros.
Dernière innovation : le crossing network. Cette fois-ci, il s'agit d'une sorte de mini-dark pool, à l'échelle d'une banque ou d'un courtier, qui négocie les ordres de ses clients, avec pour contre-partie les clients d'un autre partenaire. Et ce, sans aucune publicité, ni aucun contrôle.
Soupçons de délit d'initiés
Reprenons. La justification de l'existence des dark pools est de pouvoir s'échanger de gros paquets d'actions en toute tranquillité, sans influer sur les cours de bourse. Sauf que cet argument va à l'encontre des règles d'efficience des marchés :
- disponibilité de l'information
- transparence
- pas d'assymétrie de l'information
En réalité, certains observateurs soupçonnent ce nouveau dispositif d'abriter :
- des délits d'initiés
- des manipulations de cours