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Le néocolonialisme économique

Au Pérou, les Indiens ignorés par Perenco et son projet d'oléoduc

Par Jenny Joussemet | Etudiante Journaliste | 28/06/2010 | Rue 89

Un Indien lors d'une barricade à l'entrée de Yurimaguas, le 11  juin 2009 (Enrique Castro-Mendivil/Reuters).

En Amazonie péruvienne, la compagnie pétrolière franco-britannique Perenco se prépare à construire un important oléoduc sur le territoire d'Indiens isolés. Un an après le massacre de Bagua, ce projet gigantesque destiné à acheminer le pétrole depuis l'Amazonie jusqu'à la côte pacifique péruvienne, provoque la colère de la population indigène.

Courant juin, Perenco a annoncé avoir transporté plus de 50 000 tonnes de matériel et de produits consommables, dans une région reculée de l'Amazonie péruvienne, pour construire un nouvel oléoduc, ce qui, aux dires de la compagnie, représenterait l'équivalent de sept Tours Eiffel.

Le gisement de pétrole convoité, évalué à 300 millions de barils, représenterait la plus grande découverte en la matière de ces trente dernières années dans ce pays. Deux autres compagnies pétrolières, Repsol-YPF et ConocoPhillips, espèrent déjà prospecter dans cette région et utiliser les installations mises en place par Perenco.

Le ministère péruvien de l'Energie a approuvé le rapport de synthèse de l'étude d'impact environnemental signalant les conséquences potentielles de ces infrastructures, bien que ce projet de grande envergure menace la survie d'au moins deux groupes d'Indiens isolés, soit environ une centaine de personnes, et la zone de plus grande biodiversité d'Amérique du Sud.

Perenco conseille d'« effrayer » et « repousser » les Indiens

A aucun moment Perenco n'a fait mention de la présence d'Indiens non-contactés dans cette région. Un cahier de consignes a toutefois dû être préparé à la demande du ministère au cas où les ouvriers du chantier entreraient en contact avec des Indiens isolés. La compagnie leur recommande donc désormais « de les effrayer et de les repousser ».

Perenco continue de nier l'existence d'Indiens isolés sur ce territoire malgré des preuves physiques formelles. Des recherches anthropologiques indépendantes ont en effet attesté de leur présence dans cette région, recherches qui ont été reconnues valides par Barrett Resources, la compagnie ayant précédé Perenco sur ce territoire, le gouvernement régional et un institut de recherche réputé.

En juillet dernier, un article du Gardian a par ailleurs révélé qu'un cabinet conseil agissant sur demande de Perenco aurait volontairement exclu de son rapport final les preuves attestant de l'existence d'Indiens isolés dans la région de prospection. Un co-auteur de ce rapport affirme :

« La présence d'Indiens isolés dans cette région ne laisse aucune place au doute […] j'ai été très contrarié lorsque j'ai lu la version finale du rapport ».

Il est donc évident que les activités de cette compagnie violent la législation internationale relative aux droits des peuples indigènes.

En novembre dernier, Perenco était arrivé troisième au prix Pinocchio des Amis de la Terre dans la catégorie droits de l'homme, prix visant à dénoncer les entreprises françaises qui ont « perpétré les violations les plus graves des droits de l'homme ».

Un an après le massacre de Bagua, rien a changé pour les Indiens

Si ces activités de prospection provoquent un tollé médiatique, notamment du fait des campagnes d'ONG tel Survival International, elles sont également vivement critiquées par les organisations indigènes du Pérou.

En juin 2009, les Indiens d'Amazonie s'étaient fortement mobilisés en réponse à l'adoption préalable par le gouvernement péruvien de décrets permettant aux compagnies de s'implanter sans difficulté sur les territoires indigènes.

Ces contestations pacifiques avaient été sévèrement réprimées par les forces armées péruviennes à Bagua, faisant 34 morts et 155 civils blessés.

Mais un an après ce soulèvement, la situation des Indiens d'Amazonie ne s'est pas améliorée. Leur pleine participation à ces projets de grande envergure réalisés sur leurs territoires n'est toujours pas garantie.

Alberto Pizango, leader de l'AIDESEP, l'Association interethnique pour le développement de la forêt péruvienne, n'a pas hésité dès son retour après onze mois d'exil politique au Nicaragua, à condamner les agissements de Perenco.

Il y a donc une importante contradiction entre les revendications des Indiens, qui ne demandent que le respect des instruments de droit nationaux et internationaux, et les actions du gouvernement. Une nouvelle loi portant sur la consultation préalable des peuples affectés par des projets sur leurs propres territoires a pourtant été adoptée en mai dernier, mais le gouvernement péruvien s'obstine à voter de nouvelles lois en faveur des Indiens, sans appliquer celles qui existent.

Photo : un Indien lors d'une barricade à l'entrée de Yurimaguas, le 11 juin 2009 (Enrique Castro-Mendivil/Reuters).

 


Chassés de leurs terres, les Masaï de Tanzanie sont menacés

Par Arnaud Bebien | Journaliste | 27/06/2010 | Rue 89

Un éleveur masaï surveille  son troupeau à Makindu, en Tanzanie, en janvier 2006 (Radu  Sigheti/Reuters)

(De Tanzanie) Des éleveurs masaï, enroulés dans leur traditionnelle toge rouge, scrutant l'horizon. L'image est connue. Mais le mode de vie semi-nomade de ce peuple d'Afrique de l'Est est aujourd'hui en danger.

Le 16 mai dernier, des Masaï ont manifesté dans le Nord de la Tanzanie. Un investisseur français envisage en effet de construire un hôtel sur leurs terres ancestrales situées près des parcs nationaux, très fréquentés par les touristes. Ce n'est pas la première fois qu'ils apprennent une telle nouvelle. Quand ils ne se font pas tout simplement déloger…

Ainsi en juillet 2009, la tournure des évènements fut des plus graves dans le Nord du pays. Avec comme protagoniste, cette fois, la famille royale des Emirats arabes unis.

La délicatesse des Emirats…

Les richissimes ressortissants des Emirats, qui possèdent la compagnie de chasse Otterlo, ont le droit de tuer depuis 1992 des animaux dans des réserves leur appartenant (près de 4 000 km2 au total). Installés à grands coups de mobil-homes et de vans géants à côté de la grande plaine du Serengeti, la famille royale a les animaux dans le viseur.

Se sentant trop à l'étroit dans leur corridor de tir, ils décident d'y ajouter quelques hectares. Problème : des Masaï vivent sur les territoires environnants où leurs vaches se délectent des vertes prairies à la saison des pluies.

Les dignitaires arabes décident alors d'utiliser la force, avec l'« aimable » et étrange complicité des policiers tanzaniens. Résultats : huit villages masaï sont brûlés, laissant 3 000 personnes sans abris, et des femmes sont violées.

Début juin, dans la presse tanzanienne, le responsable d'Otterlo en Tanzanie, Isaac Nolel, tentait de calmer le jeu, malgré les rapports alarmants reçus l'an passé par l'ONG Survival, qui se charge de protéger les Masaï du Kenya et de Tanzanie depuis 1993.

L'ONG précise d'ailleurs sur son site que la famille royale avait fait la même chose un peu plus au Sud du pays en 2007 avec les Hadzabe, un peuple de chasseurs-cueilleurs en voie d'extinction en Tanzanie.

Isaac Nolel, lui, rappelle les infrastructures construites et les aides apportées aux populations locales avec le fond des Emirats de 750 000 dollars. Il omet toutefois de mentionner les Masaï arrêtés et emprisonnés pour s'être approchés trop près des réserves d'Otterlo.

« Les Masaï sont des êtres humains, non du bétail »

Cette année, signe que rien ne s'arrange, des parlementaires tanzaniens ont fait savoir qu'ils veulent expulser avant la fin de l'année 65 000 éleveurs masaï de la zone de conservation du Ngorongoro. Une décision qui fait suite à l'avertissement adressé l'an passé par l'Unesco au gouvernement tanzanien.

Le Ngorongoro, cratère de 20 km de diamètre et paradis de la vie animale, figure au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco. Et c'est justement de cette liste que le Ngorongoro est menacé d'être retiré.

Pas question, a rétorqué la ministre du Tourisme, voyant déjà le nombre de touristes fondant comme les glaciers au sommet du mont Kilimandjaro non loin de là.

Pour l'Unesco, c'est précisément la présence des Masaï qui est responsable de la détérioration de l'environnement. Sans nier leur trop grand nombre (l'Unesco impose une limite à 25 000), les défenseurs des Masaï n'oublient pas de rappeler que le tourisme empiète de plus en plus sur des terres occupées depuis des siècles par ce peuple.

Et il serait préjudiciable pour l'économie de pointer du doigt le tourisme et surtout le tort causé à l'environnement par les véhicules transportant les touristes en quête de photos souvenirs des « big five » (léopards, lions, éléphants, rhinocéros, buffles).

En juillet-août, point d'orgue de la saison touristique, on estime à près de 500 le nombre de gros 4x4 par jour dans l'enceinte du cratère, rapportant chacun 200 dollars plus 50 dollars par personne transportée, en droits d'entrée.

Le calcul est vite fait, entre des millions de dollars et des milliers de modestes éleveurs masaï. Une députée tanzanienne d'origine masaï espère trouver une issue favorable et rappelle qu'il faut « une approche humaine, car les Masaï sont des êtres humains et non du bétail ».

Privés des meilleures terres, les Masaï s'appauvrissent

Sans cesse repoussés, comme en 1959 quand les colons anglais les expulsèrent du parc voisin du Serengeti, les Masaï sont reclus sur les plus mauvaises terres et sont victimes de sécheresses qui déciment leurs troupeaux, leur bien le plus précieux.

C'est ce que dit d'ailleurs Survival en conclusion :

« Depuis la période coloniale, la plupart des terres masaï ont été accaparées au profit de fermiers et de domaines privés, de projets gouvernementaux ou de parcs consacrés à la vie sauvage. La majorité des Masaï, à qui trop peu de terres ou les plus mauvaises ont été laissées, se sont considérablement appauvris. »

C'est ainsi qu'ils ont rejoint les villes, et notamment Arusha, la grande agglomération du Nord de la Tanzanie. Ce qui les y attend n'est guère mieux. Enroulés dans des couvertures, la plupart sont gardiens de nuit de commerces et de propriétés privées.

Photo : un éleveur masaï surveille son troupeau à Makindu, en Tanzanie, en janvier 2006 (Radu Sigheti/Reuters)


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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021