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La Fifa taclée par Dilma Rousseff

La Fédération internationale de football pose beaucoup d’exigences pour la Coupe du monde 2014, prévue au Brésil. A tel point que les rapports entre la présidente Dilma Rousseff et le président de la Fifa tournent au duel. Qui gagnera ce premier match ?

27.10.2011|Amauri Segalla, Alan Rodrigues, Pedro Marcondes de Moura

Corruption

Dans l’hebdomadaire Veja, un ancien policier accuse le ministre des Sports brésilien, Orlando Silva, de détournement de fonds publics. Cinquième ministre du gouvernement de Dilma Rousseff à être accusé de corruption, Silva nie ces accusations : il a demandé au parquet l’ouverture d’une enquête.

A trente-deux mois de la Coupe du monde de football 2014, la bagarre entre le Brésil et la Fédération internationale de football (Fifa) fait déjà rage. La Fifa exige du gouvernement une série de ­mesures qui créeraient, si elles étaient rigoureusement appliquées, une sorte d’Etat parallèle pendant la compétition. La Fifa ferraille pour obtenir des changements législatifs au niveau fédéral, régional et municipal, imposer le choix des entreprises prestataires ­(notamment pour les chantiers prévus dans les stades), contrôler toute la publicité liée au Mondial et même répertorier de nouveaux délits dans le code pénal brésilien. Pour les partisans de la Fifa, et parmi eux la Confédération brésilienne de football, rien de plus naturel que d’accepter les demandes de ceux qui ont apporté au pays le plus grand événement sportif de la planète. Pour les détracteurs de l’instance suprême du football, ces diktats mettent en danger la souveraineté nationale.

Une usine à profits

Fin septembre, lors d’une réunion à Bruxelles entre la présidente Dilma Rousseff, le ministre des Sports Orlando Silva et Jérôme Valcke, secrétaire général de la Fifa, la chef de l’Etat a accepté de revoir certains points de la “loi générale du Mondial”, discutée actuellement au Congrès. Mais elle s’est montrée inflexible sur d’autres. Dilma Rousseff refuse ainsi de modifier le “statut de la personne âgée”, qui garantit aux plus de 60 ans une place à moitié prix pour tous les événements culturels et sportifs. Si elle remportait cette bataille, la défaite serait cuisante pour la Fifa, qui veut absolument contrôler les prix et la vente des billets. La présidente aurait également affirmé qu’elle ne modifierait pas une seule virgule du Code de défense du consommateur. Un sale coup pour les méthodes de travail de la Fifa, qui souhaite vendre, comme d’habitude, des billets couplés à des offres de séjours touristiques.

Ce qui est rigoureusement interdit par la législation brésilienne. L’ingérence de la Fifa inquiète les représentants de divers secteurs. “Nous ne pouvons pas nous incliner devant les diktats imposés par la Fifa”, s’insurge Wadih Damous, président de l’ordre des avocats de Rio. “Elle n’est pas au-dessus des lois nationales.” La confusion règne concernant les attributions de chaque partie prenante dans l’organisation du Mondial. Il revient à Dilma Rousseff d’approuver ou non les normes générales de la compétition, mais elle ne peut pas modifier certaines particularités locales. C’est le cas du demi-tarif pour les étudiants ou de la vente de boissons alcoolisées dans les stades, qui sont de la compétence des Etats ou des municipalités. Personne ne doute que le tarif étudiant sera annulé pendant le Mondial.

“J’ai déjà entendu des membres de la Fifa nous dire que, si nous maintenions cette réduction, nous n’aurions pas de matchs importants dans notre ville”, dénonce le chargé des sports d’une des villes organisatrices. Les préoccupations de la Fifa sont essentiellement financières. La Fifa, avec 1,3 milliard de chiffre d’affaires annuel, est en théorie un organisme à but non lucratif. Dans la pratique, d’après des enquêtes publiées principalement dans la presse britannique, la fédération internationale serait devenue une usine à fabriquer de l’argent au profit de ses dirigeants. Dès que ses intérêts économiques sont touchés, la Fifa réagit avec force. Et les indélicatesses des caciques de la fédération, y compris Joseph Blatter, son président, fleurissent. Le Suisse a ainsi déclaré il y a peu qu’il était préoccupé par le retard pris par les travaux, insinuant sans le dire que le Brésil risquait de perdre l’organisation du Mondial. Bien évidemment, le risque est nul. Il s’agissait seulement d’une mise en scène pour envoyer un message à Dilma Rousseff. “C’est devenu la règle : chaque fois que le gouvernement refuse de répondre à une sollicitation, un membre de la Fifa s’exprime publiquement pour s’inquiéter des infrastructures brésiliennes prévues pour la compétition”, affirme le directeur d’un comité municipal pour le Mondial 2014. Même une ville riche comme São Paulo peut subir des sanctions de la part de la Fifa. La loi “ville propre” interdit les affiches et panneaux publicitaires sur les façades et les bâtiments commerciaux, ce qui va certainement contrecarrer les plans marketing des vingt partenaires commerciaux de la fédé­ration. Que faire ? Changer de législation ? En coulisses, la ville a été victime de menaces. La plus courante est la possibilité de perdre le match d’ouverture du Mondial.

Bien que Dilma Rousseff ait été plus ferme que Lula, la Fifa a déjà remporté quelques batailles. Le brasseur de bière officiel de la fédération a obtenu l’exclusivité dans les stades. Détail intéressant : depuis 2008, la vente de boissons alcoolisées est interdite lors des rencontres du championnat brésilien [à ne pas confondre avec les championnats disputés dans chaque Etat].

Ingérence injustifiable

En outre, nombre d’Etats et de villes ont leur propre législation interdisant la consommation d’alcool. Vont-ils pouvoir résister ? Cela semble très improbable. “Si les municipalités ne cèdent pas, elles n’accueilleront pas de matchs”, proclame, avec une sincérité déroutante, Francisco Müssnich, consultant juridique du Comité organisateur du Mondial. L’Afrique du Sud et l’Allemagne, pays hôtes des deux dernières éditions, ont dû s’y plier. La Fifa fait preuve d’un respect inconditionnel à l’égard de ses sponsors. Pour le Mondial brésilien, la Fifa suggère d’infliger une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans à ceux qui “portent préjudice à l’image des sponsors”. Elle souhaite même la création de juridictions spéciales afin de faciliter les procédures judiciaires. N’est-ce pas là la démonstration éclatante d’une ingérence injustifiable ? “Mais l’époque où le Brésil pliait face à n’importe quelle pression internationale est terminée”, affirme Alexandre Camanho de Assis, président de l’Association nationale des procureurs de la République. “Céder reviendrait à remettre en cause notre souveraineté.” Pour l’universitaire Robert Alvarez, les manœuvres de la Fifa sont des actions planifiées. “On peut noter dans le choix des pays hôtes des Coupes du monde un net mouvement en direction de nations institutionnellement plus faibles qui occupent une place de choix dans le ­classement des pays les plus corrompus, comme l’Afrique du Sud, le Qatar [organisateur en 2022] et la Russie [en 2018].” Le Brésil a donc une chance unique de prouver qu’il ne fait pas partie de ce groupe. Les affaires louches liées au Mondial ne sont pas rares. La construction et la rénovation des stades peuvent se transformer en un maelström d’irrégularités. Selon une source qui suit de près les activités de la Fifa au Brésil, celle-ci entend répéter ici une stratégie adoptée en Afrique du Sud.

Lors des appels d’offres, la fédération établit des critères tellement restrictifs que cela rend impossible toute participation d’entreprises brésiliennes, notamment pour la fourniture d’équipements. Ainsi, les nouveaux fauteuils de l’Arena da Baixada, le stade de l’Atlético Paranaense [club de Curitiba, dans l’Etat du Paraná], avaient déjà été commandés, mais la Fifa a protesté jusqu’à obtenir l’annulation de la transaction. Motif : les sièges n’étaient pas inclinables et n’avaient pas les dimensions exigées par la fédération. “Curieusement, c’est le fournisseur européen habitué à travailler avec la Fifa qui a été finalement proposé”, note cette même source. Des problèmes de ce genre apparaissent dans tous les Etats et toutes les villes qui accueilleront la compétition. “Nous sommes très attachés au Mondial, mais nous ne l’organiserons pas à n’importe quel prix”, affirme Ney Campello, le secrétaire d’Etat de Bahia chargé du dossier Coupe du monde. Le gouvernement bahianais a récemment refusé d’allouer à la Fifa les terrains officiels d’entraînement. Selon une des clauses du contrat présenté par la fédération, la Fifa pouvait, si elle jugeait nécessaire de faire des travaux d’adaptation de ces terrains, faire appel à des entreprises qui seraient ensuite payées par l’Etat.

Un groupe de représentants de la Fifa agit directement auprès des institutions publiques dans le but de défendre les intérêts de la fédération. Aucun chantier ne peut être lancé sans l’aval de l’architecte Carlos de La Corte [recruté par la Fifa], consultant du Comité organisateur du Mondial, et toutes les actions de marketing doivent être approuvées par le duo Jay Neuhaus-Thierry Weil, qui pratique un lobbying intensif auprès des parlementaires et des gouverneurs.

Dans un pays aux dimensions continentales comme le Brésil, il est plus difficile de définir des directives valables pour des Etats aussi différents que l’Amazonas et São Paulo. Mais, si le Brésil possède différentes facettes, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas d’identité nationale. Et le football est l’un de ses piliers. Vouloir l’encadrer de règles draconiennes est une erreur aussi grave que de rater un penalty à la dernière minute d’un match décisif.

Sujet proche :http://forget.e-monsite.com/pages/les-scandales/foot-carton-rouge-pour-la-fifa-pas-un-rond-pour-les-organisateurs.html 

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021