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Les archives, nouveau lieu de flicage ?

Gros nuages sur les Archives

Service public dépendant du Département, la confidentialité des informations qu'il diffuse risque d'être mise en péril par des intérêts privés.

 Maïté Etchechoury dans les entrailles des Archives de la Dordogne.  PHOTO Jean-Christophe SOUNALET

Maïté Etchechoury dans les entrailles des Archives de la Dordogne. PHOTO Jean-Christophe SOUNALET

« Sud Ouest ». Maïté Etchechoury, vous êtes directrice des Archives départementales de la Dordogne et, comme vos autres collègues, vous êtes confrontée à une situation inédite concernant la communication publique des documents d'archives.

Maïté Etchechoury. Comme l'a expliqué l'Association des archivistes de France au ministre Frédéric Mitterrand (1), les services d'archives sont surtout sollicités par des privés qui veulent réutiliser soit les informations que contiennent les documents d'archives publiques, soit carrément les fichiers numériques constitués par nos soins lors de grandes campagnes de numérisation. En Dordogne, la plus représentative aura été la mise en ligne, d'ici la fin de l'année, de 59 % de notre état-civil qui constitue une part importante de nos 4 millions de données.

Quelles données justement vous réclame-t-on ?

Arguant de nouvelles dispositions légales autorisant la réutilisation des données publiques, la société Notrefamille.com a d'abord réclamé aux services d'archives la livraison de l'état-civil et des recensements en leur possession, notamment les fichiers numériques réalisés sur les registres paroissiaux et d'état-civil jusqu'en 1934 et les registres matricules militaires jusqu'en 1939. C'était encore relativement acceptable. Mais depuis janvier 2010, des demandes encore plus pointues ont été faites : registres d'écrou, listes électorales, documents de conscription, listes d'étrangers et de réfugiés aux XIXe et XXe siècles, cartes d'anciens combattants 14-18, cartes d'identité depuis 1940, registres d'entrées des hôpitaux psychiatriques, fiches d'internés et déportés 39-45...

Quel est donc le but de l'opération ?

Notrefamille.com ne se cache pas de vouloir constituer la plus grande base nominative de l'ensemble de la population française au XXe siècle et même antérieurement, avec plusieurs millions de données qui, en ne comptant que l'état-civil, concernerait plus d'un milliard d'individus, dont des vivants.

Comment ne pas songer aux recherches qu'ont effectuées les Mormons aux Archives, y compris en Dordogne, sur leurs ancêtres ?

Certes, mais elles ne visaient aucun bénéfice et faisaient l'objet de conventions nous permettant de les maîtriser et, entre autres, de bénéficier de doubles des microfilms des documents traités.

En quoi le projet de Notrefamille.com contrevient-il à votre éthique ?

Il se nourrit de documents en principe librement communicables, mais son ampleur et son côté systématique sur tous les départements français fait penser à un fichage de l'ensemble de la population, sur la base de données nominatives qui pèsent juridiquement puisque recueillies pour la plupart par des services de l'État. Le risque est à terme de permettre à quiconque aura payé un abonnement et tapé un nom sur un moteur de recherche de connaître par exemple le profil familial instable de gens qui, sous un même nom, auront connu ennuis judiciaires, troubles sexuels, divorces répétés, maladies mentales, et on en passe.

Le « droit à l'oubli » demandé pour Internet n'est-il pas un premier rempart ?

C'est pour protéger les libertés individuelles que la Commission nationale informatique et libertés, la Cnil, a affirmé le principe de mise en ligne de données nominatives exclusivement de plus 100 ans. Mais la loi du 15 juillet 2008 plaçant à 50 ans le délai de libre communicabilité des données pouvant porter atteinte à la vie privée et à 75 ans pour les données d'état-civil, a changé la donne. De son côté, la Cada, la Commission d'accès aux documents administratifs, sans s'opposer au principe général du droit d'accès aux données, a rappelé qu'une interdiction de réutilisation des documents peut être légalement fondée si elle est justifiée par des motifs d'intérêt général suffisants.

De quels moyens de défense disposez-vous ?

Outre les interpellations parlementaires, comme en Dordogne celles de Pascal Deguilhem et Germinal Peiro, des collectivités ont saisi la Cnil afin que s'instaure un débat public. Dans certains départements comme le Cantal, les Archives ont décidé de répondre à Notrefamille.com par une fin de non-recevoir. Dans d'autres départements, on a décidé de faire payer diverses prestations. Chaque direction d'Archives dispose d'une autonomie de décision. En Dordogne, rien n'a encore été tranché.

Une solution se dessine-t-elle ?

Comme l'a écrit Xavier de La Selle, président de l'Association des archivistes français, au ministre, il faut réexaminer l'arsenal législatif face aux risques de réutilisation d'informations « sensibles » mettant en jeu le droit des personnes et les libertés individuelles. Ce sont là des principes républicains auxquels les archivistes, face à l'enjeu éthique et sociétal soulevé, sont très attachés.

(1) Les Archives dépendent dans chaque département du Conseil général, mais leur ministère de tutelle est la Culture.

Source : http://www.sudouest.fr/2010/10/06/gros-nuage-s-sur-les-archives-204419-1980.php

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021