Espion, un métier ou une vocation ?

L'espion britannique infiltrait les altermondialistes allemands

Il ressemble un peu à Bono, sur certaines photos, avec ses cheveux longs, ses lunettes et sa barbichette. D'ailleurs, il partage avec le célèbre chanteur le même intérêt pour la cause altermondialiste. Il s'appelle Mark Stone, un type engagé.

Entre 2003 et 2010, ce Britannique intrépide et courageux sillonne l'Europe entière, au gré des manifestations qui accompagnent les sommets du G8, du G20 ou de l'Otan. On le retrouve ainsi à Gleneagles, Heiligendamm, Londres, Baden-Baden ou encore Strasbourg. En Islande, aussi. Au Danemark, en Italie, en Espagne.

Il ne compte ni son temps, ni son argent pour apporter soutien logistique et conseils en tout genre à ses compagnons de lutte. Et quand il ne leur apprend pas à s'enchaîner efficacement, il participe à des coups – à moins qu'il ne les initie ? –, comme ce blocage en 2009 de la centrale de Ratcliffe-on-the-Soar, propriété du géant de l'électricité allemand E.ON.

Las, le coup échoue. Avant même que les activistes ne s'invitent dans la centrale, la police intervient. Etonnamment, Stone est le seul à ne pas être inquiété sur l'heure par la justice. Et pour cause.

Lâché par Scotland Yard, et en exil aux Etats-Unis

Sans cheveux longs, sans lunettes et sans barbichette, Mark Stone s'appelle Mark Kennedy, officier de police britannique, membre d'une unité spécialisée de Scotland Yard dans l'infiltration des mouvements altermondialistes, la National Public Order Intelligence Unit (NPOIU). Un mouchard, donc. Qui avait semble-t-il le sens des affaires.

Kennedy n'aurait pas seulement agi pour le compte des renseignements britanniques, mais également pour le compte de sociétés privées. Entre autres pour E.ON – ce que l'entreprise dément.

Démasqué en octobre 2010 et lâché par ses supérieurs, Kennedy s'est depuis exilé aux Etats-Unis. L'affaire, publiée par le Guardian, fait grand bruit en Grande-Bretagne, mais elle connaît aujourd'hui des ramifications de ce côté-ci du Rhin.  

 

Infractions en manifs, et sexe moyennant renseignements

Kennedy s'est en effet rendu plusieurs fois entre 2004 et 2009 en Allemagne. Sur invitation ? D'après Spiegel online, le président du Bundeskriminalamt (BKA) Jörg Ziercke, auditionné à huis clos par une commission parlementaire mercredi, a reconnu que les Länder du Mecklembourg et de Bade-Wurtemberg avaient fait appel aux services du Britannique, lors des sommets du G8 à Heiligendamm en 2007 et de l'Otan à Baden-Baden en 2009.

Les affaires de police étant de la compétence des Länder, le BKA n'aurait joué qu'un rôle d'intermédiaire. Le ministère de l'intérieur du Bade-Wurtemberg a confirmé ce vendredi qu'il avait bien missionné un policier britannique lors du sommet de Baden-Baden.

Mais Kennedy ne se serait pas simplement contenté d'observer et d'enquêter, il lui est reproché d'avoir commis des infractions lors des manifestations auxquelles il prit part (blocus de rue, mise à feu de poubelles). Fait plus grave aux yeux de la loi allemande, il aurait eu des relations sexuelles avec plusieurs femmes dans le but d'avoir accès à certaines informations (« taktische Liebesbeziehungen »).

Le G8, une « Internationale des mouchards »

La coopération policière entre pays européens concernant les agents infiltrés est régulière. Un haut fonctionnaire de police allemand déclarait mi-goguenard que le sommet du G8 à Heiligendamm avait été une « Internationale des mouchards », de nombreux pays ayant dépêché du personnel pour observer de près les manifestants.

Mais le cadre juridique d'une telle coopération semble être très flou (la taz propose une bonne analyse de la question). Ziercke aurait admis dans le cas Kennedy que la police allemande avait perdu le contrôle de la situation. « Toute cette affaire est très sensible, voire même ultra-sensible » confie en privé un responsable haut-placé du BKA.

« Des zones d'ombre juridiques »

Les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts exigent désormais des éclaircissements de la part du gouvernement, qui jusque-là a opposé une fin de non-recevoir à ces questions, et s'inquiètent de ces zones de non-droit.

L'encadrement juridique des enquêteurs allemands (Verdeckter Ermittler) opérant sur le sol national est strict, mais comme le reconnaît Dieter Wiefelspütz, spécialiste des questions de sécurité intérieure du SPD, « il existe des zones d'ombre juridiques en ce qui concerne l'implication des enquêteurs étrangers ».

D'une manière générale, les autorités allemandes se focalisent depuis quelques années sur les agissements de la gauche radicale. Dans son rapport de 2009, le Verfassungsschutz (l'équivalent de la DCRI) recensait une augmentation des actes de violence de l'extrême-gauche de 59%, attribués surtout au « bloc noir » autonome (Schwarzer Block). Le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière annonçait que dans les années à venir, la gauche radicale allait devenir une priorité de ses services.

 


La Crau (Var), son maire et ses 200 « espions » anonymes

Une statuette d'un homme avec un corbeau perché sur l'épaule (Kevindooley/Flickr/CC)

C'est un édile attentif à la vie de sa petite ville varoise. Attentif au point d'avoir personnellement chargé 200 habitants (sur les 16.000 que compte la commune dont il est le maire) d'être ses yeux et ses oreilles sur le terrain. Son but : « Que soit développée, par la vigilance, une amélioration de la sécurité des citoyens. »

L'histoire se passe à La Crau et le maire est l'UMP Christian Simon, qui a succédé en 2008 à l'UMP Gérard Simon, son père.

« Un habitant sur cent espionne les autres »

Il n'est pas le seul élu local que ses administrés ont entendu invoquer une « volonté gouvernementale d'instaurer un système de vigilance citoyenne » avant d'être encouragés à jouer le rôle d'auxiliaires de gendarmerie ou de police.

Mais les « référents » de La Crau ont ceci de particulier qu'ils sont anonymes. Et pour François Nadiras, militant de la Ligue des droits de l'homme à Toulon, cela change tout :

« Ça veut dire qu'un peu plus d'un habitant sur cent espionne les autres. Et qu'on privilégie la sécurité à tout prix, quitte à ce que ce soit au détriment des libertés. »

Un groupe créé sans délibération du conseil municipal

Le groupe de « voisins vigilants » a été constitué en avril 2010 en dehors de toute délibération du conseil municipal. Il fonctionne depuis dans l'opacité.

Interrogé par un élu d'opposition lors du conseil municipal du 19 octobre 2010, Christian Simon a indiqué, selon le compte-rendu officiel, que « la mise en place des référents de quartier est un succès » et qu'ils « ont été désignés par l'équipe majoritaire ».

Interpellé par un Craurois sur l'anonymat de ces 200 référents, le maire (qui n'a pas répondu aux appels de Rue89) a affirmé dans un courrier daté du 12 janvier 2011 que cette décision était de leur fait, « considérant que leur engagement civique et bénévole ne justifiait pas une publicité ».

A La Crau, « la délation est maintenant institutionnalisée »

Beaucoup considèrent en retour que l'innocent signalement de vitres brisées, de déjections canines ou de poubelles déplacées ne justifierait pas une telle pudeur. Et s'interrogent sur la nature des « informations qui remontent », comme dit le maire.

Chef de file de l'opposition de gauche, Jean Codomier se déclare « choqué ». Il est conscient que « la délation a toujours existé ». Mais il estime qu'à La Crau, « elle est maintenant institutionnalisée ».

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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