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Dordogne : ces "grandes oreilles" de la DGSE qui aiment la discrétion

Le très secret centre d'écoute de la DGSE est un site ultraprotégé. Le pilote de la montgolfière qui s'est posé à proximité par mégarde en mai attend sa sanction.

Il est interdit de photographier le centre d'écoute, ici en 2010, de trop près.
Il est interdit de photographier le centre d'écoute, ici en 2010, de trop près. (archives SO)

En mai dernier, lorsqu'il s'est posé avec sa montgolfière et 12 passagers sur le chemin du centre d'écoute, le propriétaire du ballon n'imaginait pas voir débarquer toute la direction et la sécurité, puis la gendarmerie, et encore moins de s'entendre dire qu'il risquait des ennuis judiciaires. Et pourtant, c'est précisément ce qui est arrivé à ce professionnel du Sarladais. Qui tient à l'anonymat, comme beaucoup ici, quand il s'agit d'évoquer les « grandes oreilles ». Car tout ce qui touche à la sécurité du centre est drastiquement contrôlé. Les explications de sa présence ici, et les théories sur ce qui s'y pratique sont légion. Parfois surnommé « le radar », les gens du coin comparent aussi les immenses paraboles qui trônent dans le champ du centre à des lobes indiscrets…

Des photos à effacer

« Quand je me suis posé à proximité du site, je voulais atterrir un peu plus loin, dans l'enceinte de l'aérodrome », raconte le propriétaire du ballon, qui attend les suites judiciaires de son atterrissage depuis trois mois. « Il y a parfois des paramètres incontrôlables, et ma trajectoire a dévié de quelques mètres vers le centre. Comme j'avais en tête la permission d'un gardien, donnée quelques années auparavant, qui m'avait dit qu'en cas d'urgence, il ferait une exception en me laissant atterrir dans la zone qui entoure le centre, je ne me suis pas inquiété. »

Il poursuit : « J'aurais pu continuer à voler une bonne heure de plus, avec le carburant qui me restait, mais j'ai préféré anticiper. La sécurité des passagers prime sur tout, il vaut mieux prendre trop de précautions que pas assez. Donc je me pose là, content de ma manœuvre. Et là je vois accourir le directeur du centre, la sécurité, les chiens ! La gendarmerie de Belvès est arrivée aussi, ils ont passé au peigne fin les appareils photo de mes passagers, pour vérifier qu'aucun cliché n'a été pris. » L'affaire a duré une heure. Le professionnel l'a vécu comme un solide avertissement. Mais en juillet, il a appris qu'une sanction pénale n'était pas à exclure. « Depuis, j'attends », dit-il, sûr de son argument : « En vol, la sécurité des passagers passe avant tout. »

« On ne vole pas au-dessus »

Interdiction de survol, interdiction de se poser à proximité. Encombrant, le voisin ? Le proche aéro-club assure que les relations se passent au mieux. « On a des circuits de vol qui évitent soigneusement le centre. Il y a des règles de navigation : on ne passe pas au-dessus, point. Quant à savoir ce qu'ils font dans ce centre, on ne s'en soucie absolument pas ! » Du côté des Montgolfières du Périgord, Boris Nigrowski ne dit pas autre chose : « C'est une situation parfaitement normale : la zone est indiquée sur nos cartes, il est interdit de la survoler à moins de 750 mètres par rapport au niveau de la mer. Ce n'est pas plus contraignant qu'une centrale nucléaire. »

Pourtant, il a vécu la même mésaventure que son collègue : « Il y a quelques années, j'avais survolé le site en respectant l'altitude nécessaire. Lorsque je me suis posé, les gendarmes étaient là, ils ont vérifié que mes passagers n'avaient pas pris de photos. J'étais dans mon droit, mais peut-être qu'un directeur fraîchement arrivé a estimé qu'il valait mieux décourager les survols quels qu'ils soient. » Des relations normales, donc… À moins que la peur de représailles soit plus forte que l'envie de parler des « oreilles ».

Un simple radar ?

Le centre d'écoute de Domme n'est pas, contrairement au mythe répandu, un simple radar. Le qualificatif de « grandes oreilles » lui convient mieux, puisqu'il s'agirait du plus important centre du réseau d'espionnage des télécommunications français, un temps surnommé « Frenchelon ». Logique : il s'apparente au système mondial d'interception des communications élaboré par les États-Unis, avec le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et baptisé « Echelon » - qui fut particulièrement actif au cours de la Guerre Froide. L'existence d'un réseau français, géré par la Direction générale des services extérieurs (DGSE), les services secrets français, et par la Direction du renseignement militaire (DRM), n'a encore jamais été reconnu officiellement par l'État. Créé dans les années 1970 à Domme, le centre emploie une centaine de personnes.

Par Emmanuel Grabey / Source :

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021