SOCIÉTÉ - L'instruction, toujours en cours, sur les conditions de la mort d'un homme de 25 ans dans un local de sécurité d'un supermaché Carrefour à Lyon en décembre dernier, a permis de révéler de curieuses méthodes de travail chez les vigiles de ce magasin (1). Depuis le début, ils disent avoir suivi les procédures normales pour ce type d'intervention. Mais l'enquête commence à laisser apparaître des procédures, justement, pas si "normales" que cela. Ainsi ce classeur où les agents de sécurité notaient, à la manière d'une main courante, toutes leurs interpellations. Chaque note est accompagnée d'un code chiffré… destiné à identifier l'origine ethnique de la personne…
Lors de leurs auditions, les agents de sécurité ont expliqué que l'usage de cette nomenclature leur permettait de faciliter les interpellations, et de gagner du temps. Selon eux, cet usage fait partie des instructions données par leur hiérarchie. Entendus, les responsables du supermarché ont expliqué ne pas savoir d'où venait cette pratique.
Dès le début de l'enquête, la direction de Carrefour a soutenu ses agents de sécurité. Parmi les quatre mis en examen, deux sont salariés du groupe (dont le responsable des agents de sécurité du magasin), et deux sont employés par Byblos, société privée qui sous-traite la majeure partie de la sécurité de ce magasin. Selon Me David Metaxas, l'un des avocats des deux salariés Carrefour, les agents de sécurité auraient eu des gestes et une attitude "parfaitement conformes" à la situation au moment des faits. Ce que conteste la famille de Michael Blaise. Leur avocat, M° Yves Sauvayre, déplore "le manque de formation" des agents de sécurité.
La semaine dernière, l'avocat des vigiles a demandé la remise en liberté des vigiles. La cour d'appel de Lyon a rejeté sa demande hier. Parmi les arguments soulevés par la défense des vigiles, il y avait le fait que chacun avait la garantie de travailler. Carrefour leur garantissant un emploi à leur sortie de prison.
(1) Quatre sont mis en examen et incarcéré pour violences volontaires en réunion ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Ce 28 décembre, après avoir interpellé Michael Blaise dans les rayons, ils l'avaient conduit dans leur local. Les caméras de vidéosurveillance ont raconté la tragique suite de l'histoire : pendant une quinzaine de minutes, le jeune homme a été maintenu plaqué sur une table jusqu'à l'asphyxie (lire : La mort en direct ci-dessous).
La mort en direct
FAIT DIVERS - Il est mort à 25 ans, mardi, pour une bière. C’est-à-dire pour rien. Dans des conditions d’une incompréhensible violence…
Deux jours après les faits, Michaël Blaise était encore un voleur mort accidentellement après avoir fait un «malaise» dans les bras de vigiles du supermarché Carrefour de la Part-Dieu à Lyon. Décrit par Me David Metaxas, un des avocats du distributeur, comme un garçon «très excité», «sous l’emprise de l’alcool», que les vigiles auraient eu du mal à maîtriser. Le directeur régional de Carrefour souligne le «professionnalisme» de l’intervention des agents. Il dira même que les bandes vidéo de la scène en attestent. Michaël Blaise est aussi présenté comme un voleur bien connu de ce supermarché. Et contre qui, d’ailleurs, Carrefour aurait déposé plainte quelques jours plus tôt, expliquera Me Metaxas. Et voilà Michaël Blaise, pauvre marginal, SDF, mort de ses errements alcooliques à répétitions, malgré toutes les tentatives de réanimation du personnel de sécurité. Fait divers d’hiver, fatalité de la misère. Las. Le rapport d’autopsie et le visionnage de bandes vidéo ont rapidement permis de démonter un à un chaque élément de cette première version, racontant une tout autre histoire. Michaël Blaise est mort écrasé et asphyxié par le poids de trois hommes dans un local de sécurité. Les trois vigiles et leur manager ont été mis en examen pour violences volontaires en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Ils ont été placés sous mandat de dépôt. Et encourent vingt ans de prison.
canettes. Lundi, en fin d’après-midi. Troisième étage du centre commercial de la Part-Dieu, dans le IIIe arrondissement de Lyon. Michaël Blaise est repéré par les agents de sécurité du supermarché Carrefour en train de voler des canettes de bière. Quatre hommes, deux agents salariés de Carrefour et deux employés de la boîte de sécurité privée Byblos, l’emmènent dans le local de contrôle. La scène est filmée par les caméras de vidéosurveillance du magasin. Elle a été rapportée à la presse dans le détail par Jean-Pierre Dages-Desgranges, procureur adjoint de la République de Lyon. Il prévient : «Toutes les personnes qui ont visionné cette cassette ont été très choquées car on assiste à la mort en direct.» Il parle d’images «accablantes». Première information donnée par le procureur : Michaël Blaise est parfaitement calme lorsqu’il arrive dans le local avec les vigiles. Le ton monte par la suite. Les vigiles l’accusent d’avoir déjà volé dans le magasin. Puis ils l’attrapent et le bloquent. «Trois hommes lui ont appuyé sur le dos en lui maintenant les jambes écartées. L’un d’eux est pratiquement allongé sur son dos à tel point que la victime, qui est à moitié allongée sur une table [une table haute façon comptoir, ndlr], a les pieds qui ne touchent plus terre. La scène dure une quinzaine de minutes. D’abord la victime se plaint, elle crie, puis les cris s’estompent jusqu’à devenir des espèces de râles, puis plus rien du tout. Mais la pression continue.» Le corps de Michaël Blaise est totalement inerte, mais les agents de sécurité ne lâchent pas. «Durant encore six minutes», précise le procureur. Six minutes fatales qui «rendront impossible toute tentative de réanimation». Michaël Blaise est déjà dans le coma. Dans la nuit, il tombe en mort cérébrale. Le décès est prononcé mardi en début d’après-midi. Les résultats de l’autopsie viennent sous-titrer la scène d’horreur filmée par les caméras. Le garçon est mort par «asphyxie mécanique par compression de la cage thoracique et une obstruction des voies respiratoires supérieures». Le rapport d’autopsie mentionne des «hématomes au bras et au front», attestant de coups. Il dit aussi que Michaël Blaise ne présentait pas de pathologies antérieures pouvant expliquer un malaise ayant entraîné la mort.