Mais où est donc la Transnistrie ?  

Ce petit territoire au nom comme sorti du Sceptre d’Ottokar et au décorum tout soviétique est une étroite bande de terre coincée entre le fleuve Dniestr et la frontière ukrainienne, qui se fait appeler aussi «République moldave du Dniestr». Etat fantôme, la Transnistrie, 4 200 km2 et 500 000 habitants, s’est dotée des attributs d’un Etat : elle a sa propre monnaie (le rouble de Transnistrie), son hymne, son Soviet suprême, son drapeau avec faucille et marteau. La région est entièrement tournée vers la Russie, dont elle a fait partie pendant deux siècles. Les statues de Lénine et les portraits de Vladimir Poutine font partie du décor. Deux tiers des habitants sont russophones. La moitié d’entre eux se considèrent russe, les autres ukrainiens. Le troisième tiers sont des Moldaves, qui se sont retrouvés discriminés dans leur propre pays.

Newly elected president Yevgeny Shevchuk takes part in inauguration ceremony in Tiraspol in Moldova's self-proclaimed separatist Dnestr region December 30, 2011. Yevgeny Shevchuk, the president of Moldova's breakaway Transdniestria region, pledged to seek international recognition for the territory and build close ties with Russia as he was sworn in on Friday after beating a Moscow-backed candidate.  REUTERS/Stringer  (MOLDOVA - Tags: POLITICS) BEST QUALITY AVAILABLE - RTR2VQSL

Evgueni Chevtchouk, le président de la Transnistrie, fin 2011 à Tiraspol, la capitale. (Photo Reuters)

Guerre d'indépendance et référendum

En 1991, profitant de la dislocation de l'URSS, la Moldavie roumanophone a déclaré son indépendance. La Transnistrie, craignant de tomber dans l’orbite de la Roumanie, s’est alors autoproclamée indépendante de la Moldavie. Ce fut chose faite au terme d’une courte guerre d’indépendance qui a fait tout de même 500 morts. Sauf que depuis, personne n’a reconnu la micro-république – si l’on excepte l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et le Haut-Karabakh, eux-mêmes territoires séparatistes reconnus par presque personne. 

En septembre 2006, la Transnistrie a organisé une parodie de référendum. Les électeurs ont voté à 97% à la fois pour l’indépendance et pour le rattachement à la Russie. La propagande officielle a fait campagne contre «le fascisme moldave» – tout comme en Crimée la semaine dernière les électeurs ont été appelés à faire barrage aux «fascistes de Kiev». 

Une région inféodée au Kremlin

La Transnistrie vit littéralement sous la perfusion de Moscou. Depuis «l’indépendance», l’enseignement se fait en russe et en cyrillique (tandis que la Moldavie, roumanophone, utilise l’alphabet latin), et on y enseigne le culte de la grande Russie. Le Kremlin ne reconnaît pas officiellement le territoire, qui ne présente pas à ses yeux le même intérêt stratégique et historique que la Crimée, mais le soutient politiquement, économiquement et militairement. La Transnistrie est pour lui un levier côté européen.

Depuis 1992, plusieurs centaines de soldats russes et tout un arsenal y sont stationnés. La Russie finance les retraites des fonctionnaires transnistriens. Elle offre gaz et pétrole à bas prix, apporte aux habitants une «aide humanitaire» sous forme de produits de première nécessité et distribue des passeports russes.

La Moldavie s'alarme

Le 18 mars, le vice-Premier ministre russe, Dmitri Rogozine, a accusé Kiev d’avoir «décrété un blocus de fait de la Transnistrie» en postant des gardes à la frontière avec l'Ukraine.Le même jour, la Transnistrie a demandé à la Douma, le Parlement russe, à être rattachée à la Russie. Deux jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a évoqué une réunion du gouvernement russe où devait être abordée la question du «soutien à la Transnistrie»«Nous insisterons pour que, dans les pays où vivent nos compatriotes, leurs droits et libertés soient pleinement respectés», a-t-il dit. Panique à Chisinau, la capitale moldave. «Nous avons des informations selon lesquelles des choses précises sont entreprises pour déstabiliser la situation» en Transnistrie, a alerté le président moldave Nicolae Timofti, qui, engagé dans le même processus que Kiev, doit signer prochainement un accord d’association et de libre-échange avec Bruxelles. L’Otan s’est aussi dit inquiet.

Vendredi, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andreï Dechtchytsia, s’est dit à son tour «très préoccupé» par la Transnistrie. «Si la Russie décide de connecter la Transnistrie avec la Crimée et l’Abkhazie [région séparatiste de Géorgie, ndlr]», cela formerait «un corridor qui créerait une zone de forte déstabilisation en Europe». «Nous devons regarder une carte et l’éviter.»

Ukrainian border guards stand at a checkpoint at the border with Moldova breakaway Transnistria region, near Odessa March 13, 2014. REUTERS/Yevgeny Volokin   (UKRAINE - Tags: POLITICS CIVIL UNREST MILITARY) - RTR3GZLF

Des gardes ukrainiens patrouillant à la frontière avec la Transnistrie, le 13 mars. (Photo Yevgeny Volokin)

Source : Cordélia Bonal / Libération