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Afghanistan : une autre stratégie

Recherches et écriture: LEPAC / Jean-Christophe Victor
Réalisation : Alain Jomier
Graphisme : Pierre-Jean Canac

Diffusion sur Arte le 30.06.2009 à 22:45
Diffusion sur TV5 le 08.08.2009 à 07:45


L’Afghanistan est en guerre depuis 30 ans. La carte des ethnies est en même temps la carte de l’empreinte des mouvements de guérillas, le commerce de la drogue est central. Que va t-il se passer avec la nouvelle stratégie du Président démocrate américain Obama et la force internationale de l’OTAN, avec des élections présidentielles en Afghanistan en Août 2009 ?

Voilà trente ans que l’Afghanistan est en guerre.
Tous les records de longévité dans la belligérance semblent battus.
Donc que peut-il se passer maintenant pour ce pays ?
Rappelons comme toujours d'abord quelques fondamentaux.

Un pays au carrefour

Un pays au carrefour

L'Afghanistan est là, ni tout à fait au Moyen-Orient, ni tout à fait en Asie Centrale, ni vraiment dans le sous-continent indien.
Il est plutôt au carrefour de ces ensembles géopolitiques.
C’est un pays de 650 000 km2, peuplé par 30 millions de personnes.
C’est un pays de désert et de montagnes, d’agriculture et d’élevage, avec l’un des plus faibles revenus par habitant, et l’un des plus mauvais rangs en termes d’Indice de Développement Humain.

Une guerre longue de 30 ans

Une guerre longue de 30 ans

Voilà 30 ans que ce pays est plongé dans la guerre, et l’on peut repérer 5 phases distinctes de cette guerre :
- une guerre civile entre 1978 et fin 79, lorsque les Afghans prennent les armes contre la brutalité et la stupidité du parti communiste afghan,
- une guerre contre l’armée soviétique qui occupe le pays, entre 1980 et 1989,
- la guerre entre factions afghanes, entre 91 et 96, années où les Talibans arrivent au pouvoir ;
- pour le perdre en novembre 2001.
- Après les attentats du 11 septembre, ils en sont chassés par la coalition qui s’est formée autour des Américains, qui cherchent dans ce pays les terroristes d’Al Qaida.
Alors, quelle est la situation aujourd’hui ?
Celle d’une guerre anti insurrectionnelle, comme une cinquième phase, conduite par l'ISAF, c’est-à-dire la force multinationale de l'OTAN, puisque au fil des années, la guérilla des Talibans remporte des succès militaires, mais aussi politiques.
La situation actuelle, on peut la comprendre en regardant 6 cartes du pays et de sa région.

Des ethnies nombreuses

Des ethnies nombreuses

D’abord, la carte des ethnies qui peuplent le pays.
Au centre les Hazaras shiites ;
au nord, les Tadjiks et les peuples turcophones, Ouzbeks, Turkmènes.
Au sud, un peuple nommé Pachtoun en Afghanistan et Pathan au Pakistan, qui vit de part et d’autre de la frontière entre ces deux pays.
Ces tribus d’éleveurs et d'agriculteurs furent séparées par les Britanniques en deux entités politiques distinctes, lors du tracé de la frontière dite ligne Mortimer Durand, en 1893.
C'est de cette région, et depuis les zones tribales du Pakistan que les mouvements Talibans et leurs alliés d’Al Qaida lancent des opérations de guérilla contre les forces de l’Otan.

Les différents mouvements insurgés

Les différents mouvements insurgés

Une deuxième carte nous montre les bases territoriales des mouvements insurgés dans le pays, divisés entre :
- les mouvements talibans, eux-mêmes une nébuleuse de tribus pashtouns ;
- les mouvements liés à Al Qaida, proches de la frontière pakistanaise, ou au Pakistan même, dans les zones tribales.
- les mouvements se réclamant du commandant Haqqani, et ceux de Hekmatyar, tous deux déjà chefs de guerre du temps des Soviétiques.
- Et enfin les zones d’insécurités multiples, toutes influences confondues, y compris la criminalité organisée, liée aussi au commerce des armes et au commerce de la drogue.

La drogue, facteur de destabilisation

précédente
La drogue, facteur de destabilisation

Troisième carte, justement celle des circuits de la drogue.
En 2007, à lui seul, l’Afghanistan représente 93% de la production mondiale d’opium.

Lorsque l’on recoupe avec la carte précédente, on voit que la culture du pavot est massive dans les zones contrôlées par les Talibans, c’est là une source de revenu pour soutenir l’effort militaire de la guérilla contre la coalition.
L’ISAF a d'ailleurs demandé la destruction des champs dans les zones sous contrôle Taliban, ce que le gouvernement afghan a refusé, la culture du pavot étant aussi une source de revenu pour les paysans : il est plus rentable de mettre en culture le peu de terres arables disponibles avec du pavot, plutôt qu’avec des céréales.
On remarque aussi les points de passage des trafics, les frontières sont poreuses, impossibles à contrôler car passant au milieu des déserts et des montagnes.
Si la province de l'Helmand est connue comme centre traditionnel de production du pavot, les principales zones de production recoupent en partie les zones où la situation sécuritaire a empiré.

Le regain des Talibans

Le regain des Talibans

C’est ce que révèle maintenant cette quatrième carte, localisant les attaques entraînant des morts de civils afghans, de militaires de la coalition, ou des attaquants, talibans ou Al Qaida.
Donc le constat est simple : 8 ans après la chute du régime des talibans, le terrorisme et la guérilla gagnent du terrain en Afghanistan.

Le rôle du Pakistan

Le rôle du Pakistan

Ce regain de l’insécurité a plusieurs raisons : d'abord le Pakistan voisin ne parvient pas à contrôler les services pakistanais qui soutiennent les mouvements islamistes.
Or le gouvernement pakistanais affiche en même temps une posture de lutte anti-terroriste.
La coalition s’est concentrée sur le volet militaire, et insuffisamment sur le volet de la reconstruction du pays - on a d'ailleurs envie de dire la construction du pays - .
Il y a une très mauvaise image de marque de la coalition occidentale et des sociétés militaires privées présentes dans le pays.
Les opérations militaires et les bombardements touchent très souvent des civils, qui se souviennent qu’ils étaient " en paix " du temps des Talibans.
Les missions aériennes d'ailleurs sont de plus en plus nombreuses : en 2005, il y a eu 176 missions aériennes de proximité et de soutien à l’action terrestre.
En 2007 le chiffre est passé à 3752.

Les forces de l’ISAF et la stratégie américaine

Les forces de l’ISAF et la stratégie américaine

Maintenant regardons comment est organisé l'ISAF, c’est-à-dire les forces de la coalition.
En 2006, l’ISAF comptait 62 000 hommes – Américains, Canadiens, Européens.
Et après l’envoi des renforts américains, soit 21 000 hommes, le nombre total sera de 83 000 soldats fin 2009.
Le pays est divisé en 5 grandes régions militaires, chacune sous le commandement d’un pays de la coalition, qui réunit en tout 42 nations :
- la France, pour la région élargie de Kaboul ;
- les Etats-Unis pour le sud est, c’est-à-dire la région frontalière avec le Pakistan, par où passent toutes les infiltrations ;
- les Pays-Bas ont le commandement du sud du pays, aidés par les Britanniques et les Canadiens,
- l’Italie est à l’ouest du pays, sur la frontière avec l’Iran ;
- le nord-est est contrôlé par les troupes allemandes ;
La nouvelle stratégie mise au point par l’administration démocrate est appliquée par le Général Petraeus, qui était auparavant en Irak et qui consiste à ce que :
- D'abord les 21 000 soldats américains supplémentaires arrivant en 2009 seront là moins pour des opérations de combat que pour des missions de protection de la population afghane.
- Deuxièmement Il est prévu de renforcer et entraîner les effectifs de la police et de l'armée afghanes, avec un objectif de 400 000 hommes pour les forces de sécurité afghanes, soit plus du triple des forces initialement prévues par les Etats-Unis en 2002.
Un tel programme va coûter entre 10 et 20 milliards de dollars dans les 6 prochaines années, alors que le budget annuel de l’Etat afghan, sous perfusion internationale, est de 1 milliard de dollars.

Vers le contournement du Pakistan ?

Vers le contournement du Pakistan ?

Troisièmement, une modification des routes de ravitaillement, délaissant la passe de Khyber.
L'Afghanistan recevra son support logistique par l'Asie centrale et par le Baloutchistan iranien, par une route construite actuellement par l'Inde.

La zone AFPAK et les attaques de drônes américains

La zone AFPAK et les attaques de drônes américains

Les zones tribales au Pakistan ont toujours bénéficié d'un large statut d'autonomie, et c'est dans ces zones que les principaux dirigeants Talibans et d'Al Qaida sont parvenus à reconstituer leurs forces.
Et bien on prendra désormais en compte une seule zone tactique et stratégique, l'AFPAK, «Afghanistan/Pakistan».
On la prendra en compte d’abord militairement, en concentrant les efforts sur la «ceinture Pachtoune», et en augmentant l'aide financière au Pakistan, tout en attaquant les bases arrières ravitaillées depuis le même Pakistan.
Les Etats-Unis utilisent pour ce faire des drones de types Predator et Reaper pour des opérations de reconnaissance et de bombardement de cibles sensibles.
Le commandement américain pourrait étendre le périmètre d'action de ces drones de la CIA au sud dans la province pakistanaise du Baloutchistan.

La création d’un groupe de contact

La création d’un groupe de contact

Ensuite la prise en compte d'une zone élargie se fait aussi diplomatiquement, avec la nomination d’un envoyé spécial pour la zone AFPAK, Richard Holbrooke qui avait déjà travaillé sur la Bosnie ; il y a aussi la création d’un groupe de contact avec les alliés de la coalition, et les principales puissances régionales concernées par le sort de l’Afghanistan.

 

Alors une telle stratégie, un tel montage, sont complexes et requièrent une vision large et sur la longue durée.
Mais un tel montage peut buter :
- d'abord sur les Afghans eux-mêmes. Rien ne dit que ce peuple de paysans se laissera séduire par les Américains, les Canadiens, ou les Européens, plus qu'il n'a accepté la présence des Britanniques au XIXe siècle, ou celle des Soviétiques au XXe.
- Ensuite, l'équation pakistanaise est extraordinairement instable.
Elle ne peut être résolue sans traiter la question du Cachemire, c’est-à-dire les relations indo-pakistanaises.
- Et enfin le coût de cette guerre sera élevé, en hommes et en budget.
Mais la non stabilisation de l'Afghanistan serait d'un coût plus élevé encore, à l'échelle régionale, voire à nouveau à l'échelle internationale.
La guerre en Afghanistan va peut-être durer plus que 30 ans.

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021