Mission militaire dans les favelas de Rio

Edité le 28/10/2008

Un blindé de l’armée brésilienne prend position au pied de la Rocinha, la plus grande favela de Rio :  1 200 hommes viennent de se déployer dans cet immense bidonville d’environ 150 000 habitants, à flanc de colline. La Rocinha est l’une des vingt-sept favelas de Rio où le gouvernement du président de gauche Lula a décidé d’envoyer des troupes à l’approche des élections municipales du 5 octobre. Objectif : éviter l’intimidation des électeurs et permettre la libre circulation des candidats dans ces quartiers dominés par des gangs de narcotrafiquants ou des milices de paramilitaires (policiers ou ex-policiers, gardiens de prison et pompiers). Par crainte de représailles contre leurs partisans, seuls 8 des 1 300 candidats au conseil municipal de Rio ont pour le moment fait campagne dans les favelas.
 
Les gangs armés fournissent un minimum d’aide sociale à une population démunie, mais c’est surtout par la terreur qu’ils s’imposent, n’hésitant pas à liquider toute opposition. Ils sont maintenant accusés d’utiliser la manière forte pour faire élire leurs candidats au conseil municipal de la deuxième ville du Brésil. Certains de leurs adversaires affirment être empêchés de faire campagne dans les favelas sous leur contrôle et, au début du mois, la justice a dû interdire l’entrée des téléphones portables dans les bureaux de vote. Les paramilitaires voulaient en effet obliger les électeurs à photographier avec leur appareil l’écran de l’urne électronique pour s’assurer qu’ils avaient bien voté…
 
«Pressions». A la Rocinha, comme dans d’autres favelas, l’entrée de l’armée, annoncée à l’avance, n’a pas donné lieu à des heurts avec les gangs. Sanglés dans leurs gilets pare-balles, fusils en bandoulière, les soldats patrouillent le long de la rue principale dans l’indifférence générale. «Avec eux, on se sent plus en sécurité», se borne à dire Cicero, un quinquagénaire. Juliana, elle, trouve leur présence inutile. «D’abord, les trafiquants ne se mêlent pas de la vie des travailleurs honnêtes, ensuite, il n’y a pas de pressions sur les électeurs et il n’y en a jamais eu», martèle-t-elle. Leonardo, un jeune moto-taxi, n’est pas de cet avis. Il revendique «le droit de choisir». Or, la Rocinha, comme la favela voisine du Vidigal, également occupée par l’armée, n’a qu’un seul candidat au conseil municipal : Claudinho da Academia, dont les affiches électorales envahissent les murs, les devantures des commerces et les façades des immeubles. Ce candidat est justement celui de Nem, le caïd qui contrôle les points de vente de la drogue cachés dans les ruelles de la Rocinha et du Vidigal.
 
«Il y a quelques mois, raconte un militant associatif sous couvert d’anonymat, Nem a convoqué la quinzaine d’habitants de la favela qui briguaient un siège au conseil municipal. Il les a sommés de retirer leur candidature au profit de Claudinho.» Inquiet, l’homme s’interrompt à la vue d’un «espion», puis reprend : «A l’exception d’un seul, menacé depuis de représailles, ils ont tous obtempéré pour ne pas mourir. Même chose pour les commerçants auxquels Nem a intimé de contribuer financièrement à la campagne. Mais les gens n’en parlent pas, ils ont peur.» Pour lui, les électeurs pourraient, certes, suivre les campagnes d’autres candidats à la télé, mais «ce n’est pas suffisant».
 
Soutiens. Claudinho da Academia préside aussi une association d’habitants de la favela. C’est là qu’il reçoit, entouré de sa claque. Il balaie d’un revers de la main les accusations et joue sur la corde sociale. Pour lui, «la présence des soldats n’a d’autre but que de satisfaire une société qui n’accepte pas que les classes travailleuses aient un représentant au pouvoir».
 
Parmi les soutiens de Claudinho figure aussi le Parti républicain brésilien (PRB), lié à la puissante Eglise universelle du règne de dieu, un culte néopentecôtiste. Or, le PRB n’est autre que le parti du vice-président de la République et de Marcelo Crivella, l’un des candidats les mieux placés dans les sondages pour se faire élire maire de Rio et soutenu par le président Lula…
 
Au Brésil, crime organisé et politique font souvent bon ménage. Le conseil municipal de Rio compte déjà des élus accusés d’appartenir à des milices de paramilitaires, mais leurs partis, qui recueillent les dividendes électoraux de leurs méthodes, se gardent bien de les expulser.
 
Pour l’associatif anonyme, la présence des troupes dans ces favelas aura été de trop courte durée pour atteindre ses objectifs. Le seul candidat à avoir osé venir faire campagne à la Rocinha pendant les trois jours que l’armée y a passé n’est pas un habitant des lieux. «Une fois l’armée partie, les habitants sont à nouveau intimidés, estime Gentil, un commerçant. Il aurait fallu qu’elle reste.» C’est aussi l’avis du journal O Globo, qui rappelle que l’Etat lui-même, en abandonnant les favelas à leur sort, a ouvert la voie à l’occupation de ces quartiers par des gangs armés.

      

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Commentaires (2)

HELENE LARRIVE
  • 1. HELENE LARRIVE | 22/11/2011
Merci pour ce texte et ces images, si vous permettez, j'uploade. Bien cordialement. Hélène Larrivé
http://larrive.blogspot.com
Chien Gué, webmaster
  • 2. Chien Gué, webmaster | 23/11/2011
Pas de problème, Hélène, tu peux diffuser. Sur le même sujet, si ça t'intéresse, je te propose aussi ça :
http://forget.e-monsite.com/pages/le-monde-de-la-honte/bresil-les-escadrons-de-la-mort.html

Au plaisir de te recroiser, ici ou ailleurs (il semblerait que nous sommes voisins...)

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021