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Egypte : de la révolte à la répression fasciste

par Robert Bibeau      

 

  

Comment s’effectua le déploiement de la lutte de classe de l’instance économique vers les instances politique et idéologique dans le soulèvement de la classe ouvrière égyptienne entre 2005 et 2014? La lutte de classe des ouvriers égyptiens, amorcée par des grèves sauvages illégales, mais légitimes, pour le maintien du pouvoir d’achat, contre la misère, se sont enlisée dans le marécage des combats intercapitalistes opposants la faction Moubarak et la faction post-Moubarak, toutes deux alliées de l’armée soutenues par l’impérialisme étatsunien ; et d’autres factions bourgeoises, que faute de mieux nous identifierons comme «islamistes», soutenues par l’Émirat arabe du Qatar et par le Royaume wahhabite saoudien. La classe bourgeoise dirige tout dans les sociétés capitalistes, y compris les organisations de masses du prolétariat et la mission de la petite bourgeoisie infiltrée aux postes de commande du mouvement ouvrier est de dévoyer les luttes des ouvriers. La petite bourgeoisie égyptienne, soutenue par les médias sociaux et par les ONG de proximités, est accourue sans déparer apporter sa duplicité dans la mêlée de cette échauffourée des ouvriers.

Ce sont ces collabos petits-bourgeois à la solde qui répandirent le tumulte à propos d’un duel religieux archaïque entre les Frères musulmans, les djihadistes islamistes et les Salafistes momifiés affrontant les sous-fifres «socialistes», laïcs, révolutionnaires des salons et des balcons, et qui se termina par le coup d’État qui imposa les larbins de l’armée d’opérette (gestionnaire de 40% des ressources économiques du pays) puisque le peuple ne se résignait pas à élire l’homme de paille qu’on lui avait désigné.

C’est la petite bourgeoisie à travers ses organisations politiques sociales-démocrates, gauchistes et islamistes, soutenues par la télé et les grands médias à la solde qui se sont acquittés de la mission de détourner le mouvement ouvrier et le mouvement populaire afin de lui confisquer la direction de sa lutte de classe qui s’était d’abord développée sur le front économique par des grèves contre la dépréciation des salaires et les congédiements ; par des manifestations contre les hausses de prix, l’érosion du pouvoir d’achat, la dégradation des conditions de vie, par des occupations contre la dégradation des services publics, le chômage, la faim et la pénurie de logements. Puis, peu à peu, la lutte s’est répandue sur le front politique par la remise en cause du pouvoir bourgeois nationaliste et compradore sur l’appareil d’État aliéné.

C’est ici que la bourgeoisie est intervenue le plus violemment et le plus efficacement en proposant le mot d’ordre «Moubarak Dégage!», transformant idéologiquement et politiquement un soulèvement qui menaçait de renverser toute la superstructure d’État en une revendication pour obtenir des élections bourgeoises afin que la population choisisse son tyran parmi quelques candidats préautorisés, encadrés par l’armée des milliardaires égyptiens nationalistes et chauvins et par les capitalistes compradores.

C’est la Secrétaire d’État des États-Unis qui au nom de la classe capitaliste monopoliste internationale donna son aval au limogeage de Moubarak et à son remplacement via des élections «libres» de l’intervention des ouvriers où elle n’avait aucun doute, les entreprises américaines organisatrices professionnelles de manifestations électorales bidons parviendraient à orienter le vote de la populace vers l’un ou l’autre des candidats accrédités par l’establishment. L’armée pharaonique égyptienne entérina cette manœuvre et mit tout en œuvre pour sa réalisation, réprimant à l’occasion la faction compradore toujours fidèle au Raïs déchu.

C’est ainsi que les phalanges petites-bourgeoises des fronts de gauche alambiqués se sont mises en marche dans l’instance idéologique et politique (média, assemblées, manifestations, occupations, agitation électorale) afin de détourner le soulèvement ouvrier violent vers ce marigot électoraliste du crétinisme parlementaire. Tout fut mis en œuvre pour qu’en aucun temps la conscience de classe «en soi» et la lutte spontanée sur le front économique ne débouchent sur une prise de conscience de la classe «pour soi – pour elle-même» en une insurrection pour la conquête de tout le pouvoir d’État (instance politique et sphère militaire) par la classe ouvrière égyptienne.

Une fois l’affaire engagée en direction d’élections bidon tout était perdu. En effet, à l’occasion d’une élection démocratique bourgeoise, ce qui est décisif c’est le contrôle de l’appareil de gouvernance (processus électoral), le contrôle de la machine de propagande et des ressources financières nécessaires pour une campagne électorale frauduleuse (des centaines de millions de dollars sont requis). Sur tous ces fronts, la classe ouvrière est démunie. Elle redevenait ainsi spectatrice de son destin politique, idéologique et économique.

 

Plan d’attaque de la communauté internationale contre l’Égypte

 

Le plan militaro-étatsunien était simple. Les meilleurs organisateurs d’élections bidon (des firmes américaines de renom) se déployèrent sur l’Égypte toute entière et menèrent tambour battant, à force d’argent, une campagne débridée en faveur de quelques candidats à leur solde. Leur ex-agent égyptien des services secrets de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), maître El Baradaï, faisait partie de ce lot sélect. Cependant, ces «faiseux» d’élection ne savaient pas comment ce peuple expérimenté allait voter. Les Égyptiens boudèrent cette mascarade électorale déçus d’avoir été floués dans leurs revendications pour du pain, de l’eau, du travail, des salaires suffisants, des logements salubres et des services municipaux – les véritables revendications du «Printemps arabe».

Comme il était facile de le prévoir, les magouilles de l’armée de métier de la section compradore de la grande bourgeoisie égyptienne et du Secrétariat d’État américain firent long feu et aucun de leurs candidats ne perça le mur de rejet que le peuple égyptien opposa à ces brigands électoraux surfaits. Pendant ce temps les alliés des Étatsuniens, les royaumes du Qatar et d’Arabie Saoudite menaient leurs propres magouilles en sous-main. Les étatsuniens firent contre mauvaise fortune bon cœur et complotèrent avec les nouveaux maîtres «salafistes – wahhabites » du Majlis Al-Chaab.

La participation aux élections bidon fut modeste – une large portion des ouvriers égyptiens ayant compris qu’on les avait floués de leur révolte et qu’ils n’avaient rien obtenu contre le sang versé par leurs camarades sur les barricades. Grâce à l’argent de l’Arabie Saoudite et du Qatar, les cliques islamistes de tout poil, demeurées sur la touche pendant le Printemps d’Égypte, recueillirent les fruits de leur résilience dans l’opposition officielle au Parlement du Caire des bouffons discrédités – l’élection fournit 75 % du vote aux divers partis islamistes.

L’armée (40 % du PIB national égyptien), la grande bourgeoisie pharaonique (sections nationaliste et compradore) et le Secrétariat d’État étatsunien ne pouvaient que s’incliner et attendre, tapis dans l’antichambre, une chance de reprendre l’initiative après cette première liquidation de la «Révolution» dont héritèrent les Frères musulmans, ces représentants de l’autre faction de la bourgeoisie égyptienne dépravée.

 

Tensions dans le camp de la communauté internationale

 

Une explication s’impose. Les altermondialistes, les gauchistes, les pseudo socialistes, les thuriféraires experts universitaires et divers spécialistes patentés, de fait, tout ce qui grouille et grenouille à gauche de l’échiquier politique vous diront que l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis sont les bâtards de l’impérialisme étatsunien et que les chiens qui aboient ne mordent pas la main qui les pourvoit.

C’est une erreur. Le capitalisme monopoliste ne signifie jamais la disparition de la concurrence entre pays complices, mais, au contraire, l’exacerbation de la concurrence contre l’alliance ennemie, mais aussi au sein même de l’alliance amie – portée à son niveau suprême – acharnée – impérialiste. Ainsi, même si l’Arabie Saoudite et le Qatar font partie du camp Atlantique, dirigé par les États-Unis d’Amérique, cela n’empêche pas ces pays d’avoir des ambitions dans cette région à travers les Salafistes et les Wahhabites, jusqu’au point de s’opposer à leur chef de meute. D’autant plus que le parrain américain est sur son déclin et que le vieil impérialisme éventé ne parvient plus à imposer son autorité sur sa horde incontrôlée.

Très peu de supposés experts et analystes occidentaux l’ont souligné, mais la guerre successorale est enclenchée dans le camp occidental et le vieux parrain-requin américain édenté a de la difficulté à conserver le contrôle sur son clan et ses affidés. De toute façon le chef de meute étatsunien a plus urgent à faire que de contenir un clan contre une autre tandis que l’impérialisme chinois ascendant sonne aux portes de la Jéricho d’Occident.

 

En Égypte pendant ces malversations occidentales

 

Le Frère Morsi s’installa donc au pouvoir au nom de sa confrérie et de sa section de la bourgeoisie du pays. Pendant ce temps le Sphinx militaire n’était pas démuni. Il attendait circonspect – impassible – inamovible – la revanche du prétendant au strapontin. Ce qui devait arriver arriva et l’armée ne fut pas fâchée d’alimenter le brasier des affamés urbains et ruraux et des ouvriers désœuvrés et sous-payés qui n’avaient rien gagné du sang versé dans les échauffourées. Ils revinrent Place Tahrir réclamer du pain, de l’eau, des emplois, des salaires décents, des services et des logements.

Les petits bourgeois aiment à parler de la lutte pour la dignité, la justice sociale et la liberté. De quelle justice sociale, de quelle liberté et de quelle dignité recouvrée parle-t-on quand le père ne peut faire vivre sa famille et que le fils ne peut se marier et fonder une famille faute de logement et d’emploi, que la mère ne peut préparer le dîner faute d’eau dans le taudis mal famé, et que l’enfant ne peut fréquenter l’école sans souliers, et que de toute façon même diplômé le jeunot sait que le caniveau sera son écot?

Tous les ouvriers et tous les employés égyptiens savent bien que le Coran ne fait pas manger et qu’une mosquée, ça ne nourrit pas. L’armée le sait aussi et elle maintenait l’agitation trop heureuse de pêcher en eau trouble. Ses hommes de main n’ont pas réussi à chaparder les premières présidentielles, mais ils comptent bien se reprendre à l’occasion d’une deuxième mascarade électorale des présidentiables.

Ça bougeait au Caire et ça sautait à Alexandrie. La grogne populaire et ouvrière ne désemparait pas et remontait à l’assaut du parlement, du gouvernement, du Président insignifiant, alors que l’armée, toujours omniprésente dans la vie politique, économique, juridique et militaire du pays, plaçait ses pions, conservait le ministère de la guerre et laissait les choses se dégrader, non sans apporter sa contribution à propos de «l’islamisme outrancier» de ce Président qui représentait la faction opposée de la bourgeoisie égyptienne et occidentale.

Après moult échauffourées le 3 juillet 2013, l’État-major des armées arrête le Président Morsi, s’empare du pouvoir suprême et transfert le commandement au tyran d’opérette le maréchal Sissi la casquette. Un nouveau coup d’État s’ensuivit comme les puissances impérialistes nous ont habitués à en observer dans les pays néo-colonisés, cette fois au nom de la laïcité et de la démocratie bourgeoise bafouée.

Hier c’était pour cause de possessions d’armes de destruction massive qui ne se trouvait nullement à Bagdad, mais bien plutôt sur les porte-avions étatsuniens amarrés dans le golfe Persique. Avant-hier c’était pour stopper Al-Qaïda cet enfant de Belzébuth que la CIA a enfanté en Afghanistan. Demain ce sera pour détruire un réacteur nucléaire de l’autre côté du Golfe du pétrole que la Septième Flotte souhaite éventuellement fermer à la circulation maritime histoire d’étouffer ses concurrents pétroliers ouest-européens et gonfler le prix du carburant étatsunien.

Une partie de la populace égyptienne, fourvoyée-trompée par les Frères musulmans et leur camp, s’est portée de bonne foi à la défense du Président élu légalement et déchu illégalement par un coup d’État évident, tandis que les salariés continuent de réclamer ce qu’ils ont toujours demandé – peu leur importe que ce soit Tataoui – Morsi – Sissi – El Baradai – ou un autre pion qui leur donne satisfaction, ils crient pour leur survie.

 

La go-gauche réformiste démocratique-laïc et complice

 

À la remorque de l’armée et de sa faction d’opposition, soi-disant démocratique – à condition que les élections bidon leurs donnent raison – voilà la go-gauche sans principes, perdue, éperdue, regroupée derrière l’armée égyptienne qui a mitraillé les ouvriers hier et qui les assassinera demain, sitôt que leur pantin aura été porté au pouvoir et qu’il ne pourra pourvoir à aucune des revendications de ce peuple malandrin.

Voici les plumitifs de la go-gauche acclamant sans honte l’armée en jacquerie. L’armée fasciste de Moubarak (sans Moubarak), qu’incidemment elle a libéré de prison… Pourquoi continuer à jouer les justiciers puisque le coup fourré n’a pas marché «Autant libérer notre ex-généralissime Moubarak» se sont écriés les généraux assassins rebellés.

Revoilà la go-gauche hurlant sa loyauté à la laïcité «démocratique» et aux phalanges fascistes de cette armée de meurtriers, et à leurs mercenaires pseudo-révolutionnaires, recrutés parmi les djihadistes comme le font tous les capitalistes de cette contrée pour mener à bien la reprise en main de l’appareil d’État.

Tous auront compris que sitôt la faction des Frères musulmans et les commettants de Mohammed Morsi écrasés les canons des fusils de l’armée, des services secrets, de la police et des mercenaires importés se sont tournés contre la rue – les ouvriers, le peuple affamé, découragé, trompé, qu’aucun chef d’État égyptien, élu ou désigné, ne pourra jamais calmer; la crise économique mondiale est hors de leur portée et ces gouvernants galopins-pantins ne songent nullement à renverser radicalement le capitalisme pour construire le socialisme.

En lieu et place, ils massacrent… sous les acclamations des larbins de la go-gauche : «Le 24 mars, l’Égypte des militaires a condamné 529 partisans à mort, pour leur rôle dans les violentes émeutes de Minya, en Haute-Égypte, en août dernier. Les émeutes avaient éclaté après la violente dispersion de sit-in en soutien au président déchu Mohammed Morsi. Des centaines de ses partisans avaient été tués. Un policier était mort, un crime dont sont accusés et condamnés à mort 529 manifestants (!)».

 

Source : Robert Bibeau

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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