soudan.gifHistoire de sang et de pétrole au Soudan

Les reportages sur le référendum pour déterminer si les provinces du Sud-Soudan doivent faire sécession ont pris des accents de réjouissances, et, cela, même avant la fin du scrutin à la fin de la semaine. Et c’est le même ton qu’emploie le président Barack Obama dans une tribune libre parue dans le New York Times.

Ce « scrutin historique est la mise en application d’un processus d’autodétermination de longue date, déclare-t-t-il, une victoire aux élections sera un motif de réjouissances et un pas en avant vers le long cheminement de l’Afrique sur la voie de la démocratie et de la justice".

Ces propos sont mensongers. Il y a lieu, certes, de se réjouir d’une sécession du Sud dans l’espoir qu’un trait sera tiré sur la guerre civile qui dure depuis des dizaines d’années entre le nord et le sud. Deux millions de personnes sont mortes au cours du conflit qui a commencé sitôt après la déclaration d’indépendance du pays en 1956 et s’est poursuivi jusqu’en 2005, les 21 dernières années ayant été les plus dévastatrices. Il y a près de 4 millions de déplacés. Des générations entières ont grandi dans des camps de réfugiés.
Mais ce référendum n’a rien à voir avec l’autodétermination, la paix ou la démocratie. Il est dicté par la volonté des Etats-Unis de prendre le dessus stratégique sur la Chine, qui domine l’industrie pétrolière au Soudan, dont 80% de la production est située dans le sud. Leur objectif est de mettre en place un état fantoche qui servira de tremplin à la domination des Etats-Unis dans toute la région.
La sécession du Sud et la création d’un nouvel état capitaliste ne fera que pérenniser le conflit religieux et ethnique avec pour résultat probable la reprise de la guerre.
Déjà plus de 30 personnes auraient été tuées dans des conflits le long de la frontière envisagée entre le nord et le nouvel état du sud.
Les Etats-Unis sont parfaitement conscients d’une telle éventualité. Washington arme et entraîne l’'Armée populaire de libération du Sud-Soudan (l’APLS, en anglais : Sudan People's Liberation Army/Movement – SPLA) pour la préparer à une éventuelle attaque contre Khartoum dans le Nord, soutenue par les Etats-Unis.
C'est la menace qui sous-tend les avertissements voilés qu’adresse Obama au gouvernement d’Omar el-Bashir:

"Si vous remplissez vos obligations, et choisissez la paix, il sera possible d'établir des relations normales avec les Etats-Unis, à savoir, par exemple, que nous mettrons fin aux sanctions économiques et nous envisagerons, conformément aux lois US, de rayer le Soudan des listes des états qui soutiennent le terrorisme. En revanche, ceux qui transgresseront leurs obligations internationales devront subir davantage de pressions et d’isolement".

Les quelque cinquante états qui existent actuellement en Afrique et leurs frontières sont tous marqués du sceau des intrigues historiques des anciennes puissances coloniales.
Ce sont la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, etc., qui ont défini les frontières actuelles pour délimiter leurs sphères d’influence par rapport à leurs rivaux, et qui en ont dessiné les contours précisément pour inciter et exploiter les conflits ethniques dans le cadre d’une stratégie de division, de conquête et de domination. C'est l'héritage de la « ruée vers l’Afrique » du XIX°s qui a eu des conséquences qui se sont répercutées jusqu'à aujourd'hui.
La création d’un état tel qu’il a été proposé au Sud-Soudan n’est pas moins ignoble en substance que celle de la République du Biafra pendant la guerre civile au Nigeria.
Comme au Soudan, les frontières du Nigeria avaient été définies à partir des revendications rivales des puissances impérialistes. A la suite de la proclamation de l’indépendance en 1960, le pays avait été déchiré par des conflits entre les états féodaux musulmans semi-autonomes dans le nord quasi désertique et les royaumes chrétiens et animistes au sud et à l'est, où se situent les réserves de pétrole du pays. En 1967, le gouvernement militaire au pouvoir dans la région de l’est proclamait l'indépendance du Biafra— ce qui déclenchait une guerre où 1 million de civils étaient tués jusqu'à ce le Biafra soit réintégré au Nigeria.
La Grande-Bretagne, l’ancienne puissance coloniale, qui n'avait pas reconnu la république du Biafra, était restée insensible aux malheurs du peuple Ibo car elle était soucieuse de protéger les intérêts de la Shell Oil, qui étaient tributaires des relations entre Londres et le Nigeria. Washington avait également soutenu le Nigeria. La France, le Portugal, Israël, la Rhodésie, l’Afrique du Sud et le Vatican soutenaient, eux, les séparatistes du Biafra.
Il faut également se rappeler le terrible passé d’intrigues qu'a connu également le Soudan.
A partir des années 1880, la Grande Bretagne voulait s'emparer du Soudan pour empêcher la France d’annexer une région qui avait la mainmise sur les sources du Nil. Le Soudan est devenu une colonie britannique en 1898 à la suite du massacre systématique de soldats africains.
La partition nord-sud actuelle est l’héritage de la domination britannique. La Grande-Bretagne dressait les groupes tribaux, ethniques et religieux les uns contre les autres. Obama suit les traces des Britanniques en renforçant ces divisions.
Les dépêches diplomatiques publiées par WikiLeaks expliquent la façon dont les US ont fait parvenir clandestinement des armes au sud du pays tout en parlant de paix en public. Selon les d’accords de paix signés en 2005, qui mettaient un terme à la guerre civile, les Etats-Unis ont le droit de fournir du matériel non létal et des séances d’entraînement à l’'Armée populaire de libération du Sud-Soudan.
WikiLeaks confirme que la cargaison de tanks, de lance-grenades et de fusils anti-aériens saisie par des pirates somaliens dans le Golfe d’Aden en 2008 était bien destinée au sud- Soudan, et non pas au Kenya comme l’avaient prétendu les Etats-Unis à l’époque. Cette cargaison d’armes faisait partie de la volonté d’armer l’APLS pour préparer le référendum actuel et la sécession.
La politique US en Afrique est motivée par son hostilité vis-à vis de l'essor de la Chine dans la région.
WikiLeaks a publié des déclarations de Johnnie Carson, le Sous-Secrétaire aux Affaires africaines sur la présence de la Chine en Afrique, où il a identifié ce qu’il a appelé des “tripwires” qui déclencheraient une riposte militaire US :

"Ont-ils signé des accords de base militaire ? Entrainent-ils les armées? Ont-ils mis en place des services secrets ? Une fois que ces domaines se seront développés, les Etats-Unis pourront commencer à s’inquiéter".

Carson poursuit: “La Chine n’est pas en Afrique pour des motifs altruistes. La Chine est en Afrique essentiellement pour la Chine.
Il en va de même, bien entendu, pour l’Amérique, et ce sont les Etats-Unis, pas la Chine, qui cherchent à déclencher un conflit militaire et qui fournissent des armes aux gouvernements sur tout le continent africain.
Robert Gates, le Secrétaire américain de la Défense, a récemment exprimé ses inquiétudes quant au potentiel militaire chinois. Avant de se rendre à Beijing, Gates avait annoncé que les Etats-Unis augmenteraient leur puissance militaire en réponse à l’investissement militaire croissant de la Chine.
"Nous devons réagir en conséquence selon nos propres programmes", avait-il dit, d'un ton menaçant.
Les Etats-Unis lancent une course à l’armement sur le continent africain, qui, grâce au pétrole et aux ressources en minéraux, est prêt à devenir un des champs de bataille stratégiques dans la lutte qui est menée actuellement pour une nouvelle répartition du monde.
Les populations du Soudan et de tout le continent africain sont prises en otage par les desseins cupides des grandes puissances et des élites locales qui leur servent d'intermédiaires.
Ce qu’il faut absolument à l'heure actuelle, c’est que se développe un mouvement politique de masse de la classe ouvrière et paysanne en Afrique qui militerait pour une libération socialiste du continent, conjointement avec les classes ouvrières des Etats-Unis, de l’Asie et de l’Europe et de l’Amérique latine.

Ann Talbot

Références annexes:

Chine et USA engagés dans une nouvelle guerre froide pour l’or noir africain

On nous ment on les spolie (le Darfour et le sud Soudan)

Rappels et note perso:

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Référendum d'autodétermination au Sud-Soudan (fin de la consultation: dimanche 15 janvier)

99% des électeurs ont voté pour l'indépendance lors du référendum d'autodétermination de la mi-janvier. Ce scrutin était prévu dans les accords de paix de 2005, après des décennies de guerre civile. Les résultats provisoires ont été publiés le 22 janvier 2011 par la commission électorale: 100% des bulletins de vote dans le Nord et à l'étranger et 98,7% de ceux du Sud-Soudan ont été dépouillés. L'annonce des résultats définitifs est prévue pour février et l'indépendance du Sud-Soudan pourrait être proclamée le 9 juillet prochain.

Situation actuelle au Sud-Soudan:

C'est pas gagné

Le Sud-Soudan se caractérise par la pauvreté et l'absence de développement. Il se situe tout au bas de l'échelle des indicateurs mondiaux en matière de mortalités infantile ou maternelle et d'analphabétisme. Il s'agit donc de mettre en place une véritable politique de développement.
D'autre part, il va également falloir construire un véritable Etat, avec un nom officiel, une monnaie, une armée nationale et un gouvernement - les dirigeants sud-soudanais actuels étant essentiellement des militaires, même s'il existe déjà un gouvernement parallèle mais qui n'a pas, pour autant, les compétences requises pour gérer un Etat indépendant.
L'armée, elle, doit devenir une armée de métier, qui ne servirait plus seulement à défendre un territoire mais à garantir l'ordre public. Car les conflits au sein du Sud-Soudan sont des conflits locaux opposant différents clans et qui découlent de la pauvreté des uns et des autres.

Pétrole, pétrole

Les revenus du pétrole serviront-ils à financer le développement du nouvel Etat? Rien n'est moins sûr. Si l’essentiel des concessions pétrolières sont au sud, toutes les infrastructures sont au nord, et les sudistes n’auront certainement pas les moyens d'en construire d'autres. Le Sud et le Nord devront donc collaborer.
Ou se battre à nouveau.
Donc, si on voit bien ce qui se passe: la sécession, qui, en fin de compte, affaiblit considérablement le Nord et le Sud, ne servira peut-être pas, comme annoncé triomphalement par les médias occidentaux, à mettre un terme aux conflits, ni intra-muros ni entre le Nord et le Sud.
Mais à qui donc profite le crime, finalement? Qui tire son épingle du jeu d'une division largement encouragée et armée? Qui a fait passer l'idée, manichéenne, certes, mais ça marche, que les "bons" étaient au Sud et les "méchants" au Nord, parce qu'arabes et musulmans (on connaît la chanson)?

Autres éléments occultés par les médias:
1) Le chef historique de la rébellion sudiste John Garang, était partisan de l’autonomie au sein du Soudan, mais, hélas, il est mort mystérieusement après la fin de la guerre quand l’hélicoptère prêté par le président Ougandais s’est écrasé.
2) L'embargo US ne concerne plus le Sud depuis quelques années - ce qui a permis à la SPLA d'être entraînée par la société militaire privée Xe, anciennement connue sous le nom de Blackwater, et aux compagnies US de s'installer dans leur sillage.
Avec tout ça, les géraniums aux fenêtres et le ragoût qui mijote tranquillement sur la cuisinière toute neuve pendant que les enfants sont à l'école dans un pays apaisé, ce ne sera pas pour tout de suite.
Surtout si le FMI et l'OMC se pointent avec leur petit cartable et leur calculette.
Reste à l'homme africain à entrer dans l'Histoire.
En virant tous ces parasites.

Tiens, je ne sais pas pourquoi, mais, tout ça, ça me rappelle la Chine et le Tibet. Mais chuuuut, c'est mauvais genre de dire ça. Les Tibétains sont vraiment un peuple opprimé. Aucune propagande occidentale, là.

http://blog.emceebeulogue.fr/post/2011/01/25/Sud-Soudan%3A-avec-la-s%C3%A9cession%2C-la-patte-des-Etats-Unis-s-abat-sur-le-p%C3%A9trole-de-la-r%C3%A9gion