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Même ici y a pas de tiroir pour me ranger : par Nawa

Même ici y a pas de tiroir pour me ranger. Même ici y a comme un truc qui cloche, un “oui mais non” même si je le sens se transformer en “non mais oui”…Je vis avec mon homme depuis 10 ans à peu près jour pour jour donc bon anniversaire mon amour. Nous avons 3 enfants. Il est marocain. Je suis française. Il est musulman non pratiquant. Je suis agnostique pratiquement athée. Je n’ai pas encore de carte de séjour marocaine. Je vous ferai les détails du pourquoi du comment une autre fois, ceci prenant un temps énorme. Je vous conterai aussi dans ce même temps inutilement perdu des situations dont même Kafka n’aurait pu imaginer écrire… J’ai trouvé du boulot. En fait j’en ai trouvé plein mais vous comprendrez encore dans le temps que je perdrais pourquoi j’ai choisi celui- là. Je suis maitresse (OH MY GOD). Moi qui passais mon temps à attaquer l’éducation nationale et ce corps enseignant qui pousse le vice de génération en génération, se mariant entre eux comme pour ne pas voir, ne pas comprendre la machine à formater qu’ils servaient, qu’ils servent encore, qui fournissent au futur de notre société des clients dociles, des assistés de la réflexion, des chiens de la pensée unique, des réfractaires au savoir, à la curiosité, à la créativité. J’arrête. Y a encore un prof qui va passer pour me dire que j’exagère et que lui il sait de quoi il parle vu qu’il est fils, arrière-petit-petit-fils d’enseignants et que sa femme comme par hasard en est une aussi !….J’ai donc une classe de CP. 12 élèves. Tous juifs. Ça tombe plutôt bien, c’est une école juive.J’ai carte blanche sur la manière. J’ai les moyens de la manière. Je dois juste rendre compte sur les résultats. A l’entretien j’ai été claire sur mon attachement maladif à la laïcité, ça tombe bien aussi, je suis pas là pour ça m’ont-ils dit. Les petits garçons portent la kippa, les grands aussi. Ca ne me gène pas dans ma classe. Peu importe les têtes couvertes quand l’esprit est ouvert…. Je le rappelle pour ceux qui ne suivent pas au fond de la classe, je vis au Maroc. Je passe donc dans un éclair de seconde de salam à shalom, à bonjour, de la kippa au voile, au minijupe, aux 2 à la fois, parfois, souvent. De plus en plus de jeunes marocaines portent le voile et mettent des fringues plus courtes que leurs culottes, sur ce coup j’ai du mal à comprendre, ou ce sont elles qui n’ont pas compris… Je vis dans une famille pauvre où mon beau-frère exerce un des pires boulots de casa à savoir chauffeur de taxi blanc, des vieilles mercos qui roulent comme une preuve de dieu, comme des preuves de miracles tellement ça parait pas possible. Trajet unique, tarif unique, départ avec un remplissage de 100% à savoir 7 personnes sans compter le chauffeur, journée de travail : 24h. Je vais dans des quartiers qui font passer nos bons vieux ghettos français pour des neuilly flambant neuf. Dans le même temps je me fais raccompagner d’un stage dans une porshe Cayenne. Mais je conduis tous les jours une renault 5 plus vieille que Pasqua et en bien plus mauvais état qu’une justice qui le laisse ressortir libre d’un tribunal, c’est dire ! Faut savoir qu’à Casa c’est juste pas possible qu’un français conduise autre chose qu’une voiture neuve et grosse. J’aime voir les gens chercher où est le problème, y a pas de rangements dans la tête, c’est pas “normal”. Mais qu’est-ce que la norme quand on sait qu’il n’y a qu’au final que des histoires de vies….Ca me donne juste la réponse à la 1ère question que je me posais sur ce blog. Je suis une immigrée, pas une expatriée. Je suis dans le tout, je vis dans son contraire, le quotidien me gifle ou me caresse, depuis presque 2 mois jamais plus il m’indiffère. Je suis bouffée par l’enthousiasme des choix, des couleurs, la vie est un atelier d’artiste qui s’essaie, jetant en vrac ses gouaches, ses pastels, sculptant à mains nues un devenir possible. Prétentieusement je me sens chanceuse. Ce que je vis aujourd’hui m’apprend bien plus de choses que la plupart des gens. Et c’est aussi prétentieusement que je vous accuse de vous tromper de combat. J’ai enlevé du doigt les larmes d’une mère qui tenait si fort son bébé qu’elle aurait pu l’étouffer. Elle était assise dans la rue, n’osant même pas tendre la main de peur qu’on la lui prenne. Je vois tous les jours des enfants dont les regards infligent à mes tripes ce désir qu’ils ont de partir, de fuir la misère qui les course, qui les gangrène peu à peu, qui s’acharne sur leurss rêve et leurs illusions. J’ai appris l’histoire de cet homme, un âssas boiteux, dont sa jambe a été blessé par un hélice de bateau quand il tentait de traverser. Il est resté sur un rocher avec l’espoir inutile de guérir. Jusqu’à devoir rentrer, pour la couper. Et rester là, en pâture à la pauvreté, face aux expatriés qui lui souffle au visage toute leur affliction. Mais je sais aussi que leur rêve français ou européen est tronqué. Je le sais pour l’avoir mangé à mon tour, l’avoir fui pour sauver ma vie et celle de ma famille, pour avoir été enterrée vivante comme ils sont emmurés ici.Alors j’y arrive pas. Je ne peux comprendre comme des retraites font descendre des millions dans la rue et que des lois liberticides comme celle de l’immigration ne coupent même pas l’appétit à 20h du bon vieux plateau télé. Je ne peux comprendre cette féroce envie de défendre les miettes quand le pain entier est jeter aux vautours. Le tout est son contraire. Soyons l’un ou l’autre mais choisissons. Naviguer entre les 2 rend amer et en colère. Rien ne pourra avancer quand les 3/4 de l’humanité n’a rien à macher, quand une poignée de crevard bouffe même quand ils n’ont plus faim. Un vrai statut pour l’Homme, une utopie non mercantile. Comment je n’en sais rien. Condamner ne suffit surement pas. Lutter pour ses miettes c’est juste donner son accord pour donner le pain aux vautours. Se battre pour les autres c’est la meilleure façon de se battre pour soi.

http://limmigree.wordpress.com/2010/10/17/takhlita/

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021