Lettre d'une "assistée"

Témoignage 06/03/2012

Lettre d'une « assistée » qui se lève tôt à Nicolas Sarkozy

Annick Mauriange | En recherche d'emploi
 
Monsieur le Président,

Depuis quelques mois, en lisant la presse, je retrouve dans vos interventions ce cheval de bataille que vous exposez régulièrement : l’assistanat.

Récemment, Le Nouvel Observateur faisait encore état de vos allégations concernant les chômeurs.

Si j’en crois la presse, vous avancez que les chômeurs sont responsables de leur situation, inactifs, se complaisant de leur situation aux crochets de l’Etat.

Il y a même un film, sorti l’année dernière, qui décrit ce type d’assistanat avec humour et le talent de Jean-Paul Rouve et Isabelle Nanty : « Les Tuche “.

Mais ni ce film, ni vos propos ne décrivent la réalité de l’assistanat.

Un RSA de 55 euros

J’admets fort bien qu’elles existent, ces personnes ne vivant que d’allocations et s’y complaisant. J’en connais aussi. J’en connais même qui correspondent en tout point au stéréotype du ‘RMIste à l’écran plat dans son salon’.

Mais monsieur le Président, avec tout le respect que votre fonction m’impose, je me permets, étant ‘assistée’ moi-même, de me sentir profondément outragée par vos propos.

Je m’en explique. Je suis effectivement tributaire du RSA et d’autres allocations. La législation veut que, mon conjoint étant ‘ invalide catégorie 2 ’ et pensionné de 670 euros par mois par la Cpam (Caisse primaire d’assurance maladie), le RSA n’est que de 55 euros.

Mais j’apprécie les droits et l’encadrement que me confèrent ce statut. Ceux-ci m’ont permis d’occuper un emploi pendant six mois dans le cadre d’un CUI-CAE (contrat unique d’insertion - contrat d’accompagnement dans l’emploi) en Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Mais ce contrat n’a pas été renouvelé et ne m’a pas permis de faire suffisamment d’heures pour prétendre à l’allocation chômage. Me revoici donc au point de départ.

Deux enfants et 850 euros par mois

Monsieur le Président, ce point de départ, le voici :

  • un budget de 850 euros par mois pour mon conjoint, moi-même et nos deux enfants. Une fois toutes les charges déduites, il ne nous reste plus assez pour payer les habits et l’alimentation. Fort heureusement, nous sommes bénéficiaires d’une banque alimentaire ;
  • une bataille quotidienne contre les administrations : chaque démarche, chaque déclaration de revenu auprès des CAF (Caisse d’allocations familiales) et Cpam devient une corvée ;
  • une recherche d’emploi compromise... car la recherche d’emploi coûte de l’argent ! Chaque trajet, chaque appel au Pôle emploi et la connexion internet indispensable pour accéder aux annonces sont un trou de plus dans notre argent de poche.

Je me suis levée tôt

Sans parler des remarques désobligeantes des fonctionnaires ! Quand j’ai dû me battre pour rétablir mon éligibilité au CUI, une employée de Pôle emploi m’a fait remarquer que ‘ c’est quand même l’Etat qui décide puisque c’est eux qui paient votre salaire ’.

En effet, mais ce salaire, je l’avais gagné en faisant tout ce que vous prônez depuis votre campagne de 2007.

Je me suis levée tôt et, pendant 519 heures réparties sur six mois, j’ai entretenu des chambres, des toilettes, des bureaux, servi à table des personnes âgées et aidé les aide-soignants dans leurs tâches.

Je ne m’attendais pas à une remontrance sur l’origine de mon salaire.

Survie, famille, recherche d’emploi et bénévolat

Making-of
Annick Maurange a envoyé cette lettre au président de la République le 11 février.

Aujourd’hui, monsieur le Président, je me lève tôt, j’emmène à pied mes enfants à l’école. La journée, j’épluche les annonces, relance les recruteurs, rédige des candidatures, entretient et référence mon site internet dans l’espoir de faire reconnaître mes compétences et trouver un travail d’assistante de communication.

Car toute assistée que je sois, j’ai un projet professionnel concret et ce poste, c’est le premier barreau de l’échelle qui me permettra de l’atteindre.

Sachez aussi que mon ‘ inactivité ’ me pousse à faire du bénévolat : je suis au Conseil d’administration de l’association Erstein Cinéma. J’y tiens la caisse une fois par semaine et j’ai pris en charge un groupe de travail sur la communication.

Cette activité m’aide à me maintenir active dans ma condition d’assistée chômeuse !

Voilà, monsieur le Président, de quoi sont faites mes journées. Survie, galère, famille, recherche d’emploi et bénévolat.

Vos propos me stigmatisent

J’aurais été en droit d’attendre une reconnaissance, même verbale, pour le dynamisme et la persévérance qui me distinguent (et beaucoup d’autres comme moi) du modèle ‘ Tuche ’ au cinéma.

Mais vos propos m’accablent et me stigmatisent. Comme toujours.

Vous l’aurez compris, monsieur le Président, je ne fais pas partie de votre électorat.

Si cette lettre vous parvient et attire votre attention, n’y voyez aucune demande de ma part... Si ce n’est un peu plus d’empathie pour les conditions de vie des assistés.

Et plus d’équité, même verbale, vers le chômeur actif qui nourrit les mêmes objectifs que vous.

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021